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Gabin

Avant même de toucher la poignée de l'appartement, je sais que ça va être un bordel sans nom. Mes tympans vibrent déjà sous les basses qui filtrent à travers la porte. Le sol tremble sous mes pieds, et on dirait que Britney est en train de donner un concert privé dans leur salon. Je souffle un coup, résigné, et pousse la porte.

Immédiatement, je balance mon sac de sport dans l'entrée, au milieu de ce que j'aime appeler « le tas de la honte ». Une pile incontrôlable de chaussures, de sweats, de manteaux, et... pourquoi est-ce qu'il y a encore des haltères là-dedans ? Un jour, l'un de nous va se tordre une cheville dans cette jungle et on pourra plus jouer.

Sérieux, à chaque fois que je viens ici, je me demande comment ils n'ont pas encore mis le feu à cet endroit. Enfin – techniquement – Josh a failli une fois, mais c'est une autre histoire.

Je traverse le couloir en mode automatique, mes oreilles déjà en souffrance sous les cris perçants de « My Prerogative » qui fait trembler l'appart. Les murs sont ornés de vieilles affiches de films, récupérées dans une brocante, ou piquées à l'époque où on vivait encore dans le campus et qu'on arrachait tout ce qu'on pouvait des événements. Une affiche d'Iron Man déchirée pend à moitié, et juste en-dessous, on peut lire des inscriptions en noir de Ben – qui a griffonné des paroles de rap qu'il a jamais finies.

Le bruit de la musique augmente à chaque pas. Je tourne à droite et là, le salon s'ouvre devant moi. C'est la pièce maîtresse de l'appart. La lumière qui pénètre à travers les grandes fenêtres est presque aveuglante, contrastant violemment avec le bordel ambiant. Deux consoles se battent sous la télé alors qu'un vieil écran plat trône comme un roi déchu au milieu d'une ribambelle de manettes, de jeux vidéo éparpillés, et de DVD sans boîtes. 

La table basse en bois est littéralement un mémorial de soirées passées. Des marques de brûlures – merci Josh et sa vodka flambée –, des traces de verres à bière, des miettes de pizza fossilisées dans le bois. Le canapé marron – tout mou et affaissé – est un vestige d'innombrables siestes post-entraînements et de gueules de bois interminables. Y'a toujours les deux pouf bordeaux qui ont l'air de crier à l'aide, complètement déformés sous le poids des années.

Et là, au milieu de tout ça, Ben et Josh. C'est un spectacle en soi. Ben, avec ses boucles rousses sauvages et son t-shirt des Celtics beaucoup trop large pour lui, se bat littéralement avec une enceinte Bluetooth géante. Ses doigts frappent frénétiquement sur les boutons, et ses sourcils froncés montrent qu'il est clairement au bord de la crise de nerfs.

De l'autre côté, Josh, avec sa casquette de l'université à l'envers sur sa tête quasi-chauve, fouille désespérément dans un vieux bac de piles usagées comme si sa vie en dépendait. Il est torse nu, ses grains de beautés éparpillés sur sa peau bronzée par les heures passées à jouer dehors sous le soleil. Il a l'air aussi déterminé que si quelqu'un lui avait dit qu'il fallait sauver le monde avec ces piles. Spoiler : il ne va rien sauver du tout.

- APPUIE SUR LE BOUTON DE DROITE ! hurle Josh
- ÇA MARCHE PAS, IDIOT ! hurle Ben en retour, la voix déformée par la frustration

Je pose mes mains sur mes oreilles quand Britney attaque Toxic avec une intensité qui pourrait réveiller un mort. Honnêtement, je me dis que ça pourrait être pire. La dernière fois, c'était un mixeur cassé, un robinet déglingué, et Josh qui avait failli noyer la cuisine avec sa grande idée de « je vais tout réparer tout seul ».

Je m'avance en plissant les yeux, à moitié sourd à cause du volume. Britney, je t'aime, mais là, c'est beaucoup trop. Si elle continue à hurler dans mes oreilles, je vais finir par perdre toute mon ouïe avant mes 30 ans. Je m'approche de Ben, attrape le fil noir qui pendouille derrière l'enceinte et tire dessus sans effort. Silence. Et franchement, ce silence est presque jouissif.

CoupableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant