Sang du dragon

Chapitre 41 Une lueur dans les ténèbres

Appliquant les conseils du mestre, je me retrouve accompagnée par ma sœur et ma mère. Mon frère profite de l'attente pour pouvoir retrouver ses forces perdues par la bataille, à commencer par se purifier du sang de ses adversaires. Nous le retrouvons une fois que tout le monde se rassemble pour la cérémonie pour faire nos ultimes adieux aux guerriers défunts. Je ne les connaissais pas particulièrement, mais néanmoins, je me sens attristée comme si j'avais perdu un proche.

Le mestre Héros fait son apparition, cette fois aux côtés de la princesse Lyrina qui laisse les gens bouche bée concernant sa coiffure sois disant inappropriée à son rang. Contrairement à eux, je ne pense pas cela, même au contraire. Coiffée ainsi, elle ressemble plus à une femme libre, prête à choisir son destin comme elle le désire, contournant les normes de société.

Vu le regard de Derreck, je vois que je ne suis pas la seule à le penser. Il la dévore des yeux. Jamais il ne s'est confié à propos d'elle, mais je sais qu'il ressens un amour profond et sincère à son encontre, et ce depuis des années. Pour lui, je suis sa petite sœur, encore une enfant qu'il doit protéger constamment. J'espère qu'un jour, il finira par me voir autrement et pourra me parler sans mettre de barrières entre nous. En attendant, je dois chérir notre relation le plus possible, tout en lui montrant qu'il peut me faire confiance. 

Chacun de nous s'adonne à la prière après que le mestre ai prononcé le psaume funèbre. Lyrina prend sa forme bestiale et crache ses flammes incandescentes sur le bucher. De la voir ainsi se transformer me fait sursauter, prise d'un élan de peur. C'est la première fois que je la vois ainsi, celle qui ne pouvait pas se transformer et qui a toujours souhaité être comme ceux de son peuple. Je n'arrive toujours pas à réaliser qu'elle n'est pas uniquement une jeune femme à part entière, mais aussi un puissant dragon.

Comme mon frère, je la connais depuis longtemps, à vrai dire, nous avons grandi tous les trois ensemble. Nous n'avons jamais été vraiment très proche. Comme toutes les jeunes filles, nous nous voyons uniquement lors des séances de danses, de musiques et de coutures. Mais à part cela, nous étions presque jamais ensemble. Le reste du temps, elle le passait avec Derreck durant ses sessions à l'épée ou alors durant son temps libre. Ils étaient tellement collés ensemble que j'étais presque inexistante pour eux.  

Jamais je n'ai détesté Lyrina, mais on ne peut pas dire que je l'aimais non plus. Je l'admirais, et en même temps, je la jalousais. Elle faisait ce qu'elle voulait quand ça lui chantait et à cause d'elle, mon frère s'éloignait de moi. Ce qui comptait le plus pour lui, c'était elle et non sa petite sœur. J'ai toujours été au second plan ce qui m'a toujours agacée au plus haut point. Alors, quand je le pouvais, quand ils faisaient une bêtise, je me faisais un plaisir de les dénoncer. Derreck s'en est pris par ma faute, et encore plus quand tous les deux étaient sortis dans la forêt sans escortes et avaient été attaqués par des loups. Maintenant, je regrette d'avoir été cette peste avec eux, tout ça pour avoir de l'importance à leurs yeux. Je n'en suis pas très fière aujourd'hui, mais ce qui est passé est figé, on ne peut plus rien y faire. 

A cet instant, je ressens toujours une ambivalence d'émotions à l'égard de la jeune princesse, mais pas pour les mêmes raisons qu'avant. L'admiration est toujours présente, mais aussi une certaine crainte s'installe en moi vis-à-vis d'elle. Le dragon qu'elle représente peut bondir à tout moment sur sa proie. Dans ses yeux, une lueur étrange qu'elle n'avait pas avant se laisse apercevoir sous mes yeux inquisiteurs, comme si la bête en elle prenait peu à peu le contrôle de son âme. J'ai l'impression d'être la seule à l'apercevoir, aucun d'eux n'a l'air de le remarquer. Est-ce par ce que je suis la seule à la connaître par le passé ou est ce parce que j'ai toujours cru qu'elle ne se transformerait jamais ? Malheureusement, je ne possède pas la réponse à mes questions, mais une chose est sûre, je me méfie d'elle.