5 - Un mobile pour Agathe

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Le Samedi suivant, le grand jour : nous entrons dans un magasin, une enseigne bien connue, un « magasin de téléphonie mobile » . Nous : mon père et moi !

Partout des vitrines avec des tas de téléphones. Vous ai-je déjà confié que mon père est vraiment très séduisant ? Le genre qui accroche les regards dans la rue, même si lui ne remarque rien. Les cheveux en arrière, bruns avec des reflets plus clairs, des yeux gris-bleus, un nez droit et élégant... OK, je ne vais pas vous saouler, j'arrête. Mais bon, à chaque fois que nous sommes de sortie, c'est pareil. Pas moyen d'être tranquilles.

Et cette fois encore, je flaire l'ennemie ! Une vendeuse, tout sourire, badge sur la poitrine, s'approche, avec une démarche toute en ondulation de hanches. Le genre que j'adore... Très jolie, maquillage impeccable, cheveux relevés dans un chignon classe et très prétentieuse avec ça. Et bien entendu, elle s'adresse d'office à mon père. Exit Agathe...

— Bonjour, Monsieur.

Tout juste si elle ne bave pas sur ses chaussures. Moi ? Je suis transparente, genre cliente invisible. Je n'ai même pas droit à un petit bonjour... Quelle suprême impolitesse ! Dommage, parce que le phone, c'est pour Agathe. Je m'écarte et lui tourne le dos pour bien démontrer que je ne veux pas qu'elle s'occupe de moi. Mon père n'a pas apprécié qu'elle m'ignore de cette manière et répond, un peu froid.

— Bonjour. Ma fille regarde.

Manière de lui faire comprendre que la vraie cliente, tu viens juste l'ignorer avec un superbe dédain. Du coin de l'œil, j'observe. La demoiselle souhaiterait bien se rattraper et fait un pas dans ma direction. Mon petit sourire en coin la stoppe nette. Elle accuse le coup. Et oui, belle boulette... Tu peux t'assoir sur ton pourcentage ! D'ailleurs, je sais déjà ce que je veux, mais je fais semblant, histoire de faire durer le plaisir et de me délecter à la regarder passer un sale moment. Sadique, moi ? Seulement les jours pairs, les jours impairs ma férocité s'accentue... J'examine les modèles exposés d'un air intéressé et je m'approche en toute innocence d'un vendeur, à la mine sympa de préférence. Le jeune homme, brun et avenant, me sourit, mais ne se précipite pas comme un vautour. Bon point pour lui, les charognards m'indisposent. Sans hâte, j'arrive à sa hauteur.

— Bonjour, Mademoiselle !

Rien qu'avec ça, sans compter son sourire, il obtient déjà la moyenne. De l'autre côté du magasin, la tronche de sa collègue s'allonge. Pour elle, c'est mort. Mon père me rejoint. Le type, sympa et professionnel, ne tente pas de nous fourguer un abonnement hors de prix. Alors, je la joue franchise et lui montre le modèle qui me plaît. Pas le dernier sorti, mais bien noté par ses utilisateurs. Il approuve, surtout que mon père, un brin anxieux, lui glisse en douce que c'est mon premier portable. Bien sûr, je ne perds rien de la manœuvre. Quel papa poule ! Romain me sourit, complice. J'ai lu son prénom sur son badge.

— Vous avez regardé un peu avec celui de vos amies ?

Pas dupe, le vendeur comprend que je sais exactement ce que je veux. Il ne vend pas la mèche. J'ai déjà repéré toutes les fonctions qui m'intéressent alors il oriente la discussion et propose même la connexion internet. Oeil de Morue trouvait ça superflu et surtout trop dangereux. Pauvre Dorade congelée...

Je sors de là avec le super abonnement : un forfait pour surfer, illimité en com, sms, mms, et tous les petits trucs sympas et autres « appli »... et une belle coque en cadeau ! Noire, décorée d'un motif tribal, superbe ! Merci Romain. Au beau milieu des magasins, j'ai sauté au cou de mon père. Aucune honte. Pour quoi faire ? Et Romain a craqué. Il n'assiste pas très souvent à ce genre de spectacle et du coup, j'ai eu droit à cette coque branchée. Ne jamais se la jouer blasée dans ce genre de circonstances, c'est mon crédo ! Et ma vendeuse favorite tirait une tête sinistre quand Romain nous a raccompagnés jusqu'à la porte.

Reconnaissante, j'ai promis de ne pas abuser, de couper pendant la nuit. Un des arguments de Tronche à balai : les ados ne dorment pas assez parce qu'ils restent collés à leur portable... En plus, les médias en ont rajouté, avec force articles et reportages... Faut qu'elle arrête les revues féminines et leur analyse à deux euros sur nos comportements ! Si elle savait ce qui m'occupe certaines nuits, elle tomberait raide. Non, je ne vous dirai rien ! Pas encore ! Mais j'aime aussi dormir, très copine avec mon oreiller, donc le bidule clignotant et vrombissant restera dans le tiroir du chevet.

Ravi de ce premier achat, mon père m'entraîne et nous faisons aussi quelques boutiques. Il adore me gâter, mais comme je ne suis pas très exigeante, il insiste pour des incursions dans des magasins où je ne mettrais pas les pieds d'ordinaire. Tentée, je cède sur un nouveau fuseau de sport et, trois magasins plus loin, un baggy confortable. À sa grande satisfaction, je craque aussi sur une superbe chemise blanche. Mon père est aux anges quand il tend une carte bancaire, pas vraiment en surchauffe, à la commerçante. Il sollicite mes conseils pour un foulard qu'il souhaite offrir à Panda joufflu. Je l'oriente sur une écharpe blanche et noire, normal pour un nounours amateur de pousse de bambou*, mais plutôt jolie. Il ne faudrait pas qu'il se rende compte de mon manège. Pas question de lui faire de la peine.

Je vous laisse imaginer la tête de Bouffe Infâme quand nous rentrons. Que mon père me gâte, elle s'en fiche, mais l'abonnement... Furibonde, Tronche à balai ne se retient pas.

— L'internet sur son téléphone ? Mais tu sais bien ce que j'en pense !

Oui, mais on s'en fiche !J'aimerais pouvoir donner mon point de vue, mais en signe d'apaisement, mon père lève les mains.

— Agathe sera raisonnable. Elle m'a promis de ne pas faire n'importe quoi.

Le regard furieux, Dorade Piquante me prépare quelque chose, c'est évident...

Trois jours plus tard, à mon retour du collège, Iguane-tueuse passe à l'attaque. À cette heure, nous sommes toutes seules. À peine ai-je franchi la porte qu'elle se précipite sur moi, l'œil noir, et pas seulement à cause du khôl qui déborde de manière très artistique...

— Agathe, ton portable s'il te plaît !

Encore heureux qu'elle ajoute « s'il te plaît ». Et s'il ne me plaît pas ?Je n'ai pas droit à l'habituel « Comment s'est passé ta journée, Agathe ? ». En général je réponds un truc du genre « ça va », « bien » sans m'étendre. Elle tend une main impérieuse. Peu soucieuse de son impatience, je m'informe :

— Pour quoi faire ?

Occupée à poser mes chaussures, sans me presser, je pressens la réponse.

— Pour contrôler ce que tu fais avec.

Elle a le mérite d'être directe. J'ôte mon blouson et le range dans la penderie. Sans doute que je lambine un peu trop et elle saisit mon sac à dos pour récupérer mon phone. Je n'ai pas bougé, je la regarde tenter de le déverrouiller.

— Ton code !

Pas de « s'il te plaît » cette fois. Quel dommage... La politesse permet d'obtenir une bien meilleure coopération. Si, si, je vous assure. Très calme, j'ai pris garde jusqu'à présent de ne pas faire grimper la tension. Pas question qu'elle prétende que je l'aie provoquée. D'un autre côté, je ne garde en mémoire que les messages anodins, je vire le reste. Prudente, je vide l'historique et tout ce qui pourrait permettre de pister mon utilisation. Mais là, elle en demande trop. J'ai des principes et lui refiler mon code reviendrait à les piétiner ! J'ose, glaciale :

— Le seul qui pourrait me demander le code, c'est mon père.

Je suis zen, sur les bords et au milieu. Elle pose l'appareil sur la crédence de l'entrée et s'approche. Elle fulmine. Sa main se lève. J'intercepte et serre son poignet, sans abuser, pas la peine de laisser une marque. Ses yeux s'agrandissent, stupéfaits. La gifle de l'autre jour, j'avais décidé de la prendre, mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude. Elle essaie de se dégager, sans succès. Brave fille, je relâche ma prise, mais d'un coup. Ségo part en arrière et manque de s'étaler sur les fesses. Écarlate, humiliée, elle opère un demi-tour précipité. Mon bien de retour, je grimpe dans ma chambre. Le soir venu, l'explication entre elle et mon père est houleuse. Mais, personne ne reparle plus de contrôler mon phone.

Résultat du match : Agathe « 1 » – Elfe de Maison « moins 10 » !

Suite au prochain épisode, mais il va falloir que je trouve le moyen de calmer le jeu, de l'attendrir peut-être, et de la faire culpabiliser... beaucoup! Forcément !

Les Tribulations d'AgatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant