24 - Echec au Roi !

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A dix-heures pétantes, je récupère un Sacha, un peu ensuqué par sa grasse matinée. Mais avec un gros bémol : Enzo tout guilleret et limite sifflotant sur nos talons. Vous vous souvenez d'une invitation pour le frangin ? Moi pas. Comme à son habitude, il s'impose en chien de garde...

Sans doute pense-t-il qu'il va se poser en « patriarche » et écraser notre petit groupe de sa présence musclée... Raté ! Hier soir, j'ai pris le temps d'une très longue conversation téléphonique avec Rémi, qui accepte de nous rejoindre et de se ménager ainsi une pause dans ses révisions. Comme je le connais, il fignole car, en très bon élève, il n'attend jamais le dernier moment pour s'organiser. Méthode à adopter par une Asperge calamiteuse. Moi je suis du genre à toujours remettre au lendemain. La procrastination a ses limites pourtant mais le les dépasse toujours avec allégresse. Le bon sens de mon camarade a aussi apaisé ma hargne. Il trouve toujours les mots justes, percutants parfois et hier, il a remis mes pendules à l'heure.

- Imagine-toi deux minutes à la place d'Enzo. Il vit cette situation depuis toujours ! Un petit frère malade et fragile, qu'il adore, qu'il a visité à l'hôpital de nombreuses fois, vu branché de partout peut-être... Avec deux lourdes interventions à quelques années d'intervalle, il a du voir des choses pas très cool. Tu penses à l'impact sur Sasha, à sa souffrance, mais Enzo ? Il n'était pas très vieux la première fois et un ado, la deuxième. Avec des parents divorcés, il prend son rôle d'aîné très au sérieux et protège son petit frère en l'absence d'un père parti à l'étranger. Il est peut-être un peu trop brusque dans sa manière de faire et ça t'énerve. Mais avoue que tu n'es pas facile non plus ! En plus, il ne réagit pas si mal à ta drôle de relation avec Sasha.

Je repense à ses mots : « ma drôle de relation », une définition adaptée, un peu abrupte mais la « délicatesse » de Rémi, elle ne m'exaspérera jamais comme le font les manipulations du frangin. Sans doute que je connais trop bien mon partenaire, sa franchise très directe, son côté pas compliqué, enfin pour ceux qui ont la chance de le côtoyer. Difficile d'interpréter ses propos de manière tordue, il ne sous-entend jamais rien. Ce n'est pas son truc de cacher une idée sous une autre, histoire de piquer, sans en avoir l'air. Cette simplicité, il la cache et se protège sous cet aspect ombrageux qui n'attire pas les foules. Intuitif, il devine très vite les vilains traits de caractère de ses interlocuteurs et, exigeant, se détourne aussitôt. Résultat, il a peu d'amis, mais des vrais. Enzo ne provoque pas ce retrait et profite même de son indulgence. Pourtant question « insinuation » et « sous-entendu » c'est un maître la Socquette... Alors j'en suis réduite à évacuer ma rancœur et à temporiser. Enfin, je m'autoriserai une petite vengeance sur tatami, sous prétexte d'entraînement, car je ne possède pas la gentillesse innée, ni la patiente sagesse de mon vieux camarade et il n'est pas question que je perde de mon mordant !

L'abandon de Panda Ramollo ne me pèse pas sur la conscience. Ses nausées se sont calmées du jour au lendemain. J'ignore si mon soutien est la cause de cette amélioration soudaine mais elle a repris des couleurs et des formes... Un joli bidon qui s'arrondit doucement et qui attire mon regard suspicieux. J'ai beau savoir comment fonctionne la nature, être quasi aux premières loges, c'est autre chose. J'ai d'abord notifié, dans mon agenda mental, le négatif : les nausées, la fatigue... En positif : un teint éclatant, une humeur sereine, quelques fous rires, sur des détails parfaitement idiots de la vie quotidienne, qui me surprennent encore. La première échographie est pour bientôt et elle insiste pour que je l' accompagne car mon père ne sera pas rentré. Pourquoi pas ? Aujourd'hui, elle reçoit quelques amies et comprend que de mon côté, je préfère passer la journée avec les miens.

Nous cheminons sans nous presser, Sasha baille avec la régularité d'un métronome. La piscine se situe à dix minutes de notre quartier avec un vaste espace arboré autour des bassins extérieurs. La journée s'annonce très chaude, avec un ciel sans nuage. A peine si une brise discrète agite, d'un léger bruissement, le feuillage des grands arbres. Dès l'entrée dans le complexe, l'odeur chlorée agresse mes narines. Je présente ma carte et obtiens le jeton pour mon vestiaire puis j'abandonne les garçons. Une fois mon maillot enfilé, serviette sur l'épaule, mes lunettes de soleil posées sur le crâne et mon sac « de plage » à la main, je gagne les bassins intérieurs. Pas foule à cette heure.

Les Tribulations d'AgatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant