Les Tribulations d'Agathe

58 - Petites conversations

L'aube pointe le bout de son nez. Je la devine, au jour timide qui se glisse sous la porte. Il ne fait pas froid dans notre cahute. Normal, avec le nombre d'individus au mètre carré ! Un vrai chauffage d'appoint... Un doux ronflement m'indique, non que Sasha ronfle, mais qu'une main généreuse a secoué les braises mourantes dans le poêle et rajouté du bois.

Dans la pénombre, je distingue les silhouettes allongées à même le sol. L'une d'elles manque à l'appel, sans compter Grabuge. Le Maître et le cabot ont déserté le dortoir improvisé, de bon matin. Curieuse, je m'extirpe du sac de couchage où j'ai dormi tout habillée cette fois. Sasha dort encore, comme un bienheureux. Seuls ses cheveux dorés émergent. Dans mon inégalable générosité, je lui ai cédé le lit de camp. Samuel a bien tenté de nous faire opter pour un tirage au sort, mais d'un regard assassin, Enzo et moi l'avons fait renoncer. Rem refusait ce marchandage mesquin avec le hasard. Je me penche au-dessus du Trésor et.... Non aucun ronflement, je remballe mes vilains soupçons.

À la patère, je m'empare d'un blouson très épais et qui n'est pas le mien. Pour le concours d'élégance, repassez plus tard !Je m'emmitoufle puis passe le bonnet et les gants découverts dans les poches. Sortie très vite, j'empêche le froid d'envahir le petit nid douillet pour éviter que les grimpeurs nocturnes ne s'enrhument. Je découvre Théo, accroupi sous l'avancée. Il observe le jour se lever. La clairière, encore dans la pénombre, la silhouette des arbres couverts d'un léger givre ,se devine à peine. Les premières gelées... Pas étonnant à cette altitude, mais tout de même, l'hiver s'annonce précoce... Je baille, une main devant la bouche en Asperge bien éduquée, et m'installe sur une marche aux côtés du cousin. Je lui accorde une double bise rapide. Pas rancunière l'Agathe fugueuse ? Conclusion trop hâtive.

- Salut Théo.

- Salut Agathe, bien dormi ?

Dans le lit de camp, avec Sasha collé comme une bouillotte, comment ne pas bien dormir ? A l'étroit, mais au chaud. Hier soir, le froncement de sourcil réprobateur de la chaussette valait son pesant d'or quand le Chat, frigorifié selon ses dires, a exigé que je m'allonge à ses côtés. Pas dans le même sac de couchage, et tout habillée, histoire de ne pas choquer les bonnes mœurs. Exigüe, la couchette au confort limité ! Et Grabuge, saleté d'envahisseur, a failli nous faire benner, quand il a décidé de se joindre à nous. Là, j'ai vu rouge !

- C'est un duo, le cabot, pas un trio ! Alors du balai ! Théo réchauffe ton sac à puces, on est déjà comme deux sardines !

Et Sasha, à moitié endormi, qui murmurait :

- C'est bon les sardines...

Normal, pour un chat...

Le voilà, le perturbateur ! Grabuge gambade, renifle, bat de la queue devant un brin d'herbe. Un chien qui discute avec une touffe givrée... enfin, lequel est le plus givré des deux ? Compliqué de les départager.

- Tu vas redescendre avec nous ? se renseigne le pignouf fouineur.

- Tu t'inquiètes de l'hiver à venir ? C'est spartiate ici, faut dire... Une chance sur deux de finir congelé.

Il se tourne vers moi. De la buée s'échappe de ses lèvres tandis qu'il balance une nouvelle vanne.

- Spartiate ? Tu connais ce mot ? Alors là, tu m'épates !

Indécrottable provocateur. Sur un haussement d'épaules, je contre-attaque.

- Tu me sous-estimes. J'en connais quand même un minimum sur l'antiquité grecque !

Hors de question d'avouer que le Trésor contribue à parfaire ma culture. Le cousin le soupçonne d'ailleurs.

- Mon petit doigt me dit qu'un certain jeune homme n'est pas étranger à cette très soudaine amélioration. Il suffit de jeter un œil aux bouquins qu'il laisse traîner. Ça dû être marrant, les premiers temps, les sujets de discussion entre vous. Fallait qu'il en pince pour sa dulcinée pour faire preuve d'autant de compréhension...