Les Tribulations d'Agathe

23 - Manipulations

Nous voilà seuls, à nouveau. Les derniers mots d'Enzo suscitent en moi l'envie pressante de le transformer en serpillière. J'inscris ce fabuleux projet à l'ordre du jour de notre prochain entraînement. J'en salive d'avance et la glace la plus savoureuse ne provoquera jamais cette réaction de gourmandise...

Très curieux, Sasha m'observe avec une attention soutenue. J'espère qu'il ne devine pas mes pensées vengeresses, parce qu'éradiquer la Chaussette me démange. Dans ses prunelles couleur de noisette, je décèle un éclair de malice tandis qu'il resserre son étreinte et murmure :

- Il ne m'a rien interdit à moi, question câlin...

Je me vois dans l'obligation de censurer, non pas que la suite ne soit pas tout public, mais comprenez que je possède tout de même un embryon de pudeur. Bon, je reconnais que les lèvres de Sasha sont toujours incroyablement douces. Leur pouvoir sur moi ne se dément pas... Ça craint ! Je me transforme en guimauve sur pattes...

Prudents, nous redescendons histoire d'éviter qu'Enzo ne s'impatiente et que la crème glacée ne se transforme en flaque poisseuse. Elle perdrait beaucoup de son intérêt sous forme de flaque. Le frangin note nos mains liées et nous accueille d'un sourire un rien moqueur. Ce qu'il m'énerve l'énergumène... En plus un discret haussement de sourcil, à mon intention exclusive, m'informe qu'il n'ignore rien de ce qui nous a retenus. Génial, de quoi me mettre très à l'aise. Par bonheur mon compagnon ne remarque rien son regard attiré par de ravissantes coupes au pied festonné posée sur la table. Elles attendent notre choix de parfum. En vrai gourmand,Sasha sort de nouveaux bacs de glace du congélateur. Je craque sur un mariage de sorbet, citron et framboise, Enzo opte pour noix de coco et pistache. Et son frère, qui officie comme glacier et s'évertue à former des boules dignes de ce nom, opte pour vanille et caramel, avec un nuage de chantilly et quelques amandes effilées qui viennent joliment coiffer le tout.

Nous nous installons sur la terrasse ombragée. L'endroit offre une vue imprenable sur le jardin, ses rosiers grimpants et autres fleurs à l'allure gracieuse. Une vraie merveille, avec profusion de corolles raffinées et odorantes, un régal pour les yeux. Sasha me renseigne : une passion chez leur maman toutes ces fleurs aux couleurs acidulées qui ondulent et frémissent sous la brise tiède de cette fin d'après-midi. Avachis sur les transats, nous dégustons nos sorbets et crèmes glacées en nous délectant de la saveur et du spectacle. Repu de soleil et d'émotions, Sasha bat des paupières. Il pique bientôt du nez pour un petit somme réparateur et j'ai juste le temps de rattraper sa coupe avant qu'elle ne roule à terre. Le contempler serein, endormi -plus craquant tu meurs- me fait soupirer d'aise. En passe de devenir mon hobby préféré. C'est fait, déclaré, signé : je suis définitivement addicte.

Sur un signe d'Enzo, je me relève en toute discrétion, abandonne à regret l'objet de mon affection et gagne la cuisine.

- Laissons-le. Il ne dort pas très bien depuis quelques jours, explique-t-il.

Le voilà qui s'installe sans façon sur une chaise et m'invite à faire de même. Une occasion de discuter... Je me lance, incertaine, mais personne d'autre ne pourra me renseigner.

- Le problème de Sasha, c'est son cœur c'est ça ?

- Ah ! Alors il ne t'a pas tout dit...

Non ! Il ne va pas me la jouer à nouveau «C'est à lui de se confier ». Moi aussi, j'ai eu mon quota de nuits agitées. Mais il poursuit sans réticence.

- Une malformation congénitale, il a été opéré à l'âge de deux ans puis il y a quatre ans. Je te passe les détails, mais c'était nécessaire pour assurer un débit sanguin normal entre les deux parties du cœur. Le problème est qu'au fur et à mesure de sa croissance, la correction devient insuffisante... Il a déjà pris cinq centimètres depuis le début de l'année. Au même âge, j'ai grandi très vite également, c'est de famille.