Les Tribulations d'Agathe

34 - Ange et Vipère

A la clinique, arrivée devant la porte de la chambre de Sasha, j'inspire en profondeur, plus très sûre de mon choix vestimentaire.

Peut-être que mon style garçon manqué remporte les faveurs de Sasha ? Après tout face à une Yamiko délicieuse et féminine, la victoire revient à mon naturel élancé et musclé. Ma transformation en asperge endimanchée risque de le surprendre. Par cette chaleur, un sprint jusqu'à la maison pour changer la tendance s'envisage. Me présenter ensuite à bout de souffle, dégoulinante, sans oublier le merveilleux parfum de l'athlète après l'effort... je sais déjà combien Sasha apprécie. Ma main qui s'apprêtait à frapper à la porte reste en suspension. La voix grave d'Enzo s'étonne à mon oreille.

- Agathe ? Un problème ?

Pas si proche la « socquette domptée ». A croire qu'il connaît mon point faible. Depuis sa rencontre avec Mathias, mon goût prononcé pour les barytons devient une information publique.

- Tu es superbe dans cette robe, il va a-do-rer !

Machiavel, le retour ! Il appuie à dessein sur ce dernier mot. Il débloque la poignée de la porte sans me demander mon avis. Plus d'alternative. Attention, s'il a l'intention de m'offrir une petite poussée pour que j'entre plus vite, mon coude partira en arrière et ses côtes convalescentes nous chanteront l'hymne à la joie (*),  en allemand de préférence !

Je pénètre à peine dans la pièce et découvre Sasha assis en tailleur sur son lit médicalisé. Il lève la tête et saute à terre pour... stopper net. Je crains le pire.

- Agathe, tu es vraiment...

Quoi ? Moche ? Nunuche ? Ridicule ? Les trois à la fois ? Je trépigne. Bien sur le « superbe » d'Enzo représente un soutien inattendu mais qui se rassurerait avec l'avis d'une « Socquette apprivoisée »

- ... époustouflante.

Soulagement. Même sur ce domaine réservé de l'élégance féminine, je marque des points que je dois avant tout à la sagacité et l'insistance de Panda-Style. Les yeux admiratifs et gourmands de Sasha m'examinent et j'exécute un petit tour complet avec, je l'espère, plus que la grâce innée d'un hippopotame en tutu.

Le voilà qui quémande un bisou mais en présence d'Enzo, j'effleure sa joue. Gros yeux et grimace appuyée puis il autorise deux bises fraternelles à la « Chaussette empressée ». Le Chat n'abandonne jamais sa proie, il joue avec tel un artiste sadique et inconscient de l'être, puis... « couic ». Dans mon cas, l'échéance procurera une sensation fort agréable en comparaison de l'agonie d'un pauvre petit mulot. Bien sur, je vous épargne la description détaillée des tripes à l'air, sanguinolentes, et de cette pitoyable petite chose qui tressaute dans une pénible agonie avant de s'éteindre.

- Je vais vous laisser, j'ai quelques courses à faire, annonce Enzo, tu as besoin de quelque chose Sasha ?

De super héros, Rémi passe sur la marche demi-dieu. Civiliser une « socquette primitive », un exploit digne d'Hercule. Sasha secoue la tête et je devine une pensée impatiente « Besoin de rien, file le frangin que je... ». Ah ! Mes antennes ne captent pas la fin, brouillage intempestif créé par la voix d'Enzo, à la sonorité  pas désagréable du tout... Hum ! D'ailleurs celle de Sasha commence aussi à taper dans les très graves. Comme s'il avait besoin d'un atout charme en plus, déjà que mes défenses s'apparentent à du gruyère, avec plus de vide que de fromage.

- Je vous ramène des boissons fraîches...

Merci de la délicate attention, maintenant si tu pouvais fermer la porte derrière toi. A peine close et je subis un assaut en règle, prisonnière consentante des frêles bras de Sasha et de ses lèvres. Je finis par me réfugier dans le grand fauteuil près de la fenêtre. Sur le rebord, des livres s'entassent dans un fouillis inhabituel pour cet amoureux de l'ordre. Un indice qui trahit son état d'esprit : angoisse et ennui se conjuguent. Au dehors, pas de joli parc, non juste des toits de hauteur disparate à perte de vue. Un patio, interne, planté de quelques verdures accueille les patients m'explique Sasha. Bien trop exigu, l'endroit ne dissipe pas la sensation d'étouffer ressentie depuis son arrivée.