7 - Appâter la Dorade !

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Enzo, le grand frère de Sasha, abandonné sur le trottoir comme une vieille paire de chaussettes puantes après un cours de sport, je ne traîne pas. Encore un plan béton à organiser. Et pas d'erreur, je ne pars pas à la pêche.

Je m'arrête à l'épicerie pour de petites courses. Un grand sourire au patron qui se renfrogne et ressemble soudain à vieux trognon de pomme. Toujours difficile de se trouver face au témoin d'une mauvaise action. Et face à ce vilain rappel, boum ! Toute la rancune se focalise sur Agathe. Aucune reconnaissance pour celle qui l'a remis dans le droit chemin. Quelle déception ! Mon petit cœur saigne à ce triste spectacle.

Je tourne dans les rayons. Chocolat à pâtisser, sucre en poudre, farine, œufs. Mon plan pour me rabibocher avec Dorade 007. J'espère qu'elle ne postulera pas pour le prochain James Bond... Elle m'épie sans arrêt. Je ne veux pas qu'elle se transforme en Panda espion au service de sa Majesté. Elizabeth II ne s'en remettrait pas, le Royaume Uni non plus, et nos voisins britanniques ne méritent pas un tel « cadeau ». Il faut que je désamorce la chose sinon les ennuis vont me péter à la figure et vous aurez remarqué : cela arrive toujours au plus mauvais moment. Ce plan simple et imparable me donnera l'occasion rêvée pour l'amadouer, la culpabiliser et surtout la neutraliser.

Aujourd'hui, elle rentrera de son travail après moi. Je pose mes petites courses sur la table de cuisine et file dans ma chambre, un peu comme le chat dans "Tom et Jerry", sur la pointe des pieds, un sourire sadique aux lèvres, toute excitée de la suite à venir. À la différence que si Tom, chat idiot et exception de la race féline, n'attrape jamais Jerry, souris rusée, moi je vais pêcher de la Dorade espionne. Je l'entends qui arrive et, à peine cinq minutes plus tard, elle m'appelle depuis le bas de l'escalier, beaucoup plus gentille que lors de notre précédente « bataille ». Je souris de plaisir anticipé puis reprends une mine inexpressive pour la rejoindre.

— Ta journée s'est bien passée ?

L'envie de lâcher : « Non, non une vraie torture, les profs sont débiles et les cours mortels, mon cerveau me refuse tout service, j'ai le Qi d'une huître grâce à ce prodigieux enseignement. » me taraude. Imaginez sa tête... mais très sage, je me contente d'un sobre :

— Bien...

— Tu as fait des achats ?

Elle s'étonne du contenu du sac plastique et sort mes petites emplettes.Et me voilà dans ma première tirade :

— Adi m'a donné une recette de fondant au chocolat. Papa adore, mais je ne sais pas si je vais savoir faire...

Agathe en mode : "au secours j'ai besoin d'aide ! C'est trop, trop compliqué de casser trois œufs, ajouter farine et sucre dans un saladier puis mélanger avec le beurre et le chocolat fondus, verser dans un plat beurré et enfourner vingt-cinq minutes dans un four préchauffé". Suivre une recette, qui ne sait pas faire un truc aussi simple ? C'est moins compliqué que de résoudre une équation à deux inconnues, quand même. Mais pour les besoins de la cause, je laisse croire à mon absolue nullité en la matière. Rien n'empêche de se régaler ensuite !

— Tu veux que je t'aide ?

Et hop ! La Morue Gourmande est ferrée, pêchée, prête à se faire dévorer. Pour sa défense, elle adore cuisiner. Je n'aime pas ce qu'elle fait, mais il arrive qu'elle parvienne à m'étonner dans le bon sens. Je vous rassure, c'est rare. Je savais qu'elle proposerait son aide. Cette cuisine redécorée selon ses goûts (je déteste le côté vintage...), est son domaine, son antre, sa tanière. Dans une autre vie, je l'imagine en épouvantable sorcière crado, avec de vilaines verrues sur le nez, de longs ongles noirs et dégoûtants, penchée au-dessus de chaudrons puants et gluants, trop occupée à dépecer des crapauds, des serpents, des rats... Appétissant, non ? Pas très étonnant qu'avec une imagination aussi fertile, je fasse ensuite la grimace devant le contenu de mon assiette.

Les Tribulations d'AgatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant