Les Tribulations d'Agathe

37 - Fugue !

Fin des vacances bretonnes. La Bretagne me manquera, ses plages, son crachin, sa lumière sans parler des pâtisseries... Mais retrouver Sasha me démange. Ses derniers messages m'inquiètent. Laconiques, limite déprimés et Enzo confirme qu'à nouveau son moral plonge. Le chirurgien américain n'a pas encore prononcé son verdict alors que tous, nous attendons, anxieux.

Comme se ronger les sangs ne servait à rien, j'ai poursuivi mes activités jusqu'au bout, mais en compagnie de Samuel. Bizarre, malgré les années passées, notre complicité demeure intacte. Nous avons partagé temps et confidences. Le divorce de ses parents l'a bouleversé, il ne s'y attendait pas du tout. Son père a sacrifié sa famille à une autre femme. Il vit mal encore aujourd'hui cette cruelle sensation d'abandon, mais moins que les premières années. Réfugié dans sa coquille, il ne communiquait plus, refusait de lui parler et négligeait ses amis. Ensuite difficile de renouer le contact avec eux. Malmené par mes engueulades, il a fait son mea culpa ! Un maxi mea culpa à grand renfort de glaces et de crêpes.

Samuel a changé, presque aussi grand que moi mais pas athlétique. Une silhouette mince et élégante, un sourire charmeur et toujours ses prunelles d'un bleu éclatant, envoûtantes. Son ultra-sensibilité, il la dissimule sous un humour dévastateur. Le récit de sa pose de piercing et de l'encrage de ses tatouages m'ont fait hurler de rire. Pas de risque que j'en fasse autant, mais j'avoue que le dragon de feu qui s'enroule autour de son avant-bras suscite mon admiration.

Pour le piercing à l'arcade, je renâcle un peu, mais pour la ravissante salamandre argentée qui ondule le long de sa narine gauche, je cède à l'esthétisme de la chose. Il m'a raconté comment il pleure comme une madeleine à chaque séance. Au grand désarroi des praticiens qui craignent à chaque fois d'avoir été brutaux. Ces larmes lui valent une ristourne fréquente sur la facture, alors je le soupçonne d'en rajouter et il confirme avec un hochement de tête vigoureux.

- Mais je suis quand même vraiment une douce avec les aiguilles, précise Samuel, je tombe dans les pommes à chaque prise de sang. Quand je me suis pété le poignet, pareil, dès qu'une infirmière ou un toubib voulait m'ausculter, rien que l'idée, boum...

Cerise sur le gâteau, à la rentrée il sera interne dans un lycée tout proche du mien. Nous pourrons continuer à nous voir. L'histoire de son poignet, un truc glauque. Il sortait du ciné avec des proches et un groupe d'allumés, venus en découdre dans le quartier, a foncé sur eux. Le genre d'histoire qui fait froid dans le dos, surtout que la double fracture déplacée de Samuel, lui a valu une réduction en bloc opératoire avec une anesthésie générale deux jours avant les épreuves du brevet. Les médecins, furieux, refusaient de le laisser sortir pour passer les épreuves car sa tension ne remontait guère. Il a supplié sa mère qui a signé une décharge à contrecœur. Un grand malade, Samuel. Mais il a eu son diplôme avec les honneurs et raconte, sourire éclatant, comment il s'est effondré après les épreuves, avec une tension dans les chaussettes et un retour express à l'hosto. Je l'ai prévenu, à la rentrée, il intègrera le dojo, pour apprendre à se défendre. La prochaine fois, c'est peut-être le crâne qu'il se fera exploser à coup de batte, avec peu de chance de s'en relever cette fois. Les fous furieux ne courent peut-être pas les rues, mais quand vous avez le malheur d'en croiser un... alors quand il y a une possibilité de se protéger, autant la saisir.

A l'arrière de la voiture, je regarde le paysage défiler. Plus que trois-quarts d'heure avant la maison. Toujours aucune nouvelle de Sasha, rien depuis hier. Anormal ! Comme toujours j'envoie un petit message de contrôle à Enzo. La réponse tarde à venir ce qui m'agace. Que fait la Chaussette ? Il drague à la Piscine ? Attention les filles, ce type est un Machiavel tordu qui manipule à outrance ! Peut-être a-t-il embarqué Sasha là-bas ? Mon phone vibre, enfin. La lecture du message me scotche.