CHAPITRE CINQ.

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Ethan.

Les gouttes de pluie heurtaient régulièrement la vitre de la voiture de Dimitri, qu'Anna lui avait empruntée. Elles dévalaient délicatement la fenêtre, jusqu'à arriver au dessus de la portière, et s'étalaient de tout leur long dessus. La tempête avait véritablement éclaté, délaissant cet insupportable mystère qui électrisait la ville. Les arbres, sur la route menant à l'hôpital de la ville, étaient ballottés d'un côté à un autre à la guise du vent, et certaines feuilles tombaient prématurément au sol, comme pour attester de la violence de la chose. Le ciel était couvert nuages d'un gris extrêmement sombre, et des éclairs apparaissaient de temps à autre, me surprenant toujours. La température s'était considérablement rafraîchie depuis le début de la soirée, et moi, la tristesse et l'appréhension s'étaient fermement enracinées en moi. Des milliards d'interrogations se frayaient un chemin jusqu'à mon esprit instable qui ne réalisait toujours pas.

Anna conduisait à travers la nuit agitée, les mains crispées sur le volant, au point que les jointures de ses doigts étaient blanches. Je tournai la tête vers son visage, et je remarquai la détermination dont ses traits s'étaient imprégnés. Ses yeux s'étaient obscurcis, ses lèvres bloquées en une moue sérieuse, et elle respirait calmement. Je fus étonné de la voir ainsi, sachant qu'elle avait paniqué lorsqu'elle avait dû m'accompagner à la voiture, alors qu'elle voyait que j'étais de plus en plus désespéré. Désormais, un calme intense se dégageait d'elle, et elle n'en était que plus belle. Tout à coup, elle alluma l'auto-radio, et une mélodie calme s'en dégagea. Elle remarqua mon regard, et ses lèvres s'étirèrent en un sourire hésitant, que j'essayai de lui rendre, seulement cela devait plus ressembler à une grimace qu'à autre chose.

Alors que les notes résonnaient à nos oreilles, une boule de chaleur se créa au creux de mon ventre et les larmes me montèrent aux yeux. Les paroles de mon père me revinrent en tête : « Ta mère... Elle a eu un accident ». Tout à coup, je pensais à Tom. Etait-il au courant ? Sûrement. Comment avait-il réagi ? Avait-il pleuré ? Etait-il en ce moment-même à l'hôpital ? Comment allais-je réagir en voyant son visage si innocent, dévasté par la peur et la tristesse ? Allais-je tenir le coup ? Oui, il le fallait. Pour lui, pour mon père. Pour moi. Oui, j'affronterai tout ce qu'il y aurait à affronter, peu importe à quel point cela m'atteindrait, je ne me laisserai pas abattre, non je me battrai. Et je gagnerai.

Je n'avais pas remarqué qu'Anna était en train de garer la voiture devant l'hôpital, qui trônait au beau milieu d'une forêt. La devanture était si mal en point, que je reçus comme un coup à l'estomac en la regardant. C'était donc le moment. C'était ce moment qui allait soit me hanter jusqu'à la fin de mes jours, soit me soulager d'un poids que je n'aurais sûrement pas eu la force de supporter. Tout à coup, ce fut comme si j'étouffais. Il fallait que je sorte de cette voiture, que je sache, je n'en pouvais plus d'attendre. J'avais besoin de savoir, de savoir si ma vie allait être détruite à jamais ou pas. De savoir si cette soirée me traumatiserait à tout jamais ou pas. De consoler mon frère et mon père. De me consoler moi. Alors, sans même un regard pour Anna, je sortis de la voiture en trombe, et, dans l'air frais de cette nuit désastreuse, mes jambes se sont mises à courir d'elles-mêmes, comme un besoin d'échapper à tout cela. Les gens se tournaient sur mon passage, mais il fallait que j'arrive le plus vite possible à l'intérieur. Les gouttes de pluie s'écrasaient contre moi, créant un barrage à chacun de mes pas, mais je ne pouvais pas ralentir.

Lorsque j'arrivais enfin à l'entrée principale, je fus surpris de voir autant de monde. Du côté des urgences, des tas de gens étaient transportés sur des brancards, et la panique régnait. Des cris résonnaient de part et d'autre, les médecins accouraient, des proches pleuraient toutes les larmes de leur corps, et il n'y avait personne à l'accueil. L'affolement gagnait chacun, et les hurlements de douleur des victimes me glaçaient le sang. Pendant un instant, j'oubliais ce que j'étais venu faire ici. Tout cela me choquait bien trop. La mort, le désespoir et la tristesse étaient inscrits partout en ce lieu, où les mères pleuraient leurs enfants, où les enfants apprenaient qu'ils grandiraient sans parents, où les conjoints devaient rentrer chez eux, sans leur âme sœur. Les médecins tentaient tant bien que mal de sauver la dizaine de patients, mais pour la plupart, leurs efforts étaient vains.

« Elle s'appelait Anna »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant