« Elle s'appelait Anna »

CHAPITRE TRENTE-SIX.

Elena. 

 C'est fou à quel point le monde peut vous sembler incroyablement beau, lorsque vous êtes heureux. Dès le moment où Lucas et moi nous étions enfin réconciliés, les couleurs m'avaient semblé un peu plus chatoyantes, les sourires un peu plus resplendissants, le ciel un peu plus bleu et le soleil un peu plus éclatant. J'avais oublié cette sensation de plénitude intense, de bonheur absolu qui m'avait quittée pendant si longtemps que j'en avais oublié jusqu'à l'existence. C'était une émotion tellement puissante et inspirante que j'avais l'irrépressible envie de hurler ma joie au monde entier, de l'écrire sur les murs de l'Histoire, de la chanter à qui voulait bien l'entendre. Et, malgré tout cela, une peur, un sentiment infime, demeurait dans mon esprit. Comment pouvais-je être absolument certaine que ce bonheur n'était pas qu'une passade, tel un papillon éphémère qui finit, encore et toujours, par se consumer ? Mais souvent, je chassai cette idée de ma tête. Je n'avais qu'à profiter à fond de ces instants merveilleux, que leur durée soit incertaine n'était pas une chose dont je devais me préoccuper. Pas alors que je venais à peine de retrouver le goût à la vie.

Lorsque nous étions rentrés d'Alaska, j'avais emménagé chez Lucas. Sa mère et ses frères et sœurs furent surpris, mais j'eus droit au même accueil chaleureux que la dernière fois. Lucas les avait mis au courant, et ils avaient tous très bien réagis. Sa mère avait promis de s'occuper du bébé dès que nous ne serions pas disponibles, tout comme la mère d'Ethan, qui semblait sincèrement attristée de me voir partir. Je la remerciai chaleureusement, ainsi que son fils, qui allait encore mieux depuis que Lucas et moi nous étions réconciliés. Il avait dû sincèrement souffrir de cet éloignement avec son meilleur ami, même si je lui avais toujours répété qu'il n'avait pas à être en colère contre lui.

Ce fut sûrement le meilleur mois de ma vie. Je n'avais jamais vraiment aimé Mars, -sûrement à cause de la pluie incessante et des cours devenant lassants-, mais celui-ci fut riche en émotions positives. Lucas m'emmena chez le médecin plusieurs fois pour contrôler l'évolution de l'enfant, à la plage de San Francisco et au restaurant. Tout cela, ponctué des révisions pour les examens qui se faisaient de plus en plus nombreux. Pour le deuxième semestre, les exigences des professeurs avaient clairement monté, et le rythme était de plus en plus dur à tenir. Nous croulions sous les révisions, et ces quelques sorties avec Lucas et Ethan étaient les bienvenues pour décompresser.

Nathan m'avait fait comprendre qu'il avait besoin d'un peu de temps pour digérer tout cela, et qu'une fois qu'il serait prêt, il serait ravi de redevenir ami avec moi. Lorsque je le croisais au lycée, nous nous adressions un sourire timide, et cela s'arrêtait là. Quant à Ray, je la voyais très souvent, et elle avait été très heureuse d'apprendre que tout s'était arrangé avec Lucas, qu'elle connaissait depuis que nous étions petits, aussi. Leur relation était toujours un peu froide – elle n'était pas du genre à pardonner facilement, et elle gardait un souvenir de la soirée du nouvel an très traumatisant -, mais ils étaient toujours très courtois l'un envers l'autre.

J'avais continué de parler avec mon frère, Nathaniel, qui m'avait raconté qu'il avait coupé les ponts avec nos parents, qui devenaient d'après lui, « de vrais vieux cons, je te jure ! ». Lorsque je lui avais parlé de mon envie d'aller visiter l'université de San Francisco, il s'était immédiatement proposé de m'accompagner. J'avais accepté, bien entendu. J'étais ravie de savoir que toute ma famille n'était pas une immense blague, et que les enfants n'étaient pas forcément les portraits cachés des parents. Nat m'avait aussi appris qu'il avait rompu avec sa copine quelques semaines auparavant, et j'en fus sincèrement désolée, sachant à quel point il tenait à elle. Cependant, il n'avait pas paru aussi triste que je m'y serai attendue.