CHAPITRE ONZE.

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Ethan.

Lucas et Elena avaient tenu à m'accompagner à l'hôpital. J'avais réussi à les convaincre de juste me déposer, et ils m'avaient regardé partir, de la pitié dans les yeux, que je fis semblant de ne pas voir. Je n'aurais jamais cru que ma première journée en tant que dernière année se passerait ainsi. Je n'avais pas arrêté de penser à ma mère, seule dans cette clinique froide et désagréable. Où était-elle, en ce moment ? Pensait-elle à moi ? Se rappelait-elle quelque chose de sa vie ? Lucas et Elena avaient tout fait pour essayer de me divertir, en vain. J'avais juste besoin d'être triste. Et ils l'avaient compris.

La secrétaire m'indiqua le chemin à suivre pour accéder à la chambre de ma mère, et, les épaules lourdes et le pas traînant, je suivis ses instructions. L'hôpital était quasiment aussi rempli que la dernière fois. Dans le couloir des comateux, il n'y avait cependant personne, à part mon père, l'air épuisé, assis juste en face d'une personne. Ses cheveux blonds étaient ternes et sales, il se tenait le visage dans les mains, les épaules recourbées. Je m'avançais vers lui, et lorsqu'il leva les yeux, je le pris dans mes bras. Je m'attendais à ce qu'il craque, mais ce ne fut pas le cas, et j'en fus terriblement soulagé. Je n'étais pas sûr de pouvoir supporter une autre crise de larmes.

— Toujours pas de nouveau ?

Il secoua la tête.

— Ça fait des heures que je suis ici à être près d'elle, lui.. lui tenir la main, lui parler.. Mais rien.

J'acquiesçai, le cœur lourd.

— Comment va Tom ?

— Il... Il tient le coup, je pense. J'ai demandé à Lucas et Elena d'aller le chercher et de l'amener prendre une glace.

Il se mordit la lèvre, puis déclara en montrant la porte devant du doigt:

–- Vas-y. Je pense que ça vous fera du bien, à tous les deux.

Je murmurai un « merci », époussetai ma chemise. Je pris une profonde inspiration pour tenter d'apaiser les battements frénétiques de mon cœur, en vain, et tournai la poignée. Dès que je fus dans la pièce, un frisson me parcourut le dos, et j'eus le souffle coupé à la vue de ma mère allongée sur le lit, horriblement seule. Elle présentait de multiples blessures : elle avait un bras en écharpe, sa jambe gauche était plâtrée, elle avait quelques égratignures et hématomes par-ci par-là, et son visage était marqué par son énorme œil au beurre noir. Ma mère, qui ne s'était jamais battue, qui n'avait jamais eu de violente dispute, ma mère, si douce, attentionnée, se retrouvait dans cet état-là. Mes jambes en tremblèrent, et je dus m'asseoir sur le fauteuil près d'elle pour ne pas tomber. Les larmes me montèrent aux yeux, lorsque je vis pâleur inquiétante de son visage, ses cheveux poissés de sang et totalement emmêlés, et ses lèvres étaient extrêmement sèches. Elle, qui faisait si attention à son apparence...

Je fermai les yeux, un instant, et des images défilèrent devant moi. C'était elle, partout, qui éclatait de rire, qui me regardait en souriant, son amour de mère dans ses yeux incroyables. Elle, qui déposait un baiser sur les lèvres de mon père, ou qui bordait mon frère dans son lit. Elle, qui soignait mes égratignures, ou qui me racontait une histoire lorsque j'étais petit. Toutes ces choses... Elles ne se reproduiraient peut-être jamais...

Je rouvris les paupières, et je ne pus m'empêcher de prendre sa main. Elle était si glaciale... Les larmes me montèrent aux yeux, et j'aurais voulu lui dire qu'elle pouvait prendre tout le temps qu'elle voulait, et que nous serions là, à l'attendre. J'aurais voulu lui dire qu'elle nous manquait, et qu'elle ne pouvait pas nous abandonner. J'aurais voulu lui dire qu'elle était notre soleil, que sans elle, rien n'allait bien, qu'elle nous était essentielle. J'aurais voulu lui dire que je ne pouvais pas m'en sortir seul, que j'avais besoin d'elle pour m'épauler, pour me réconforter. J'aurais voulu dire que je l'aimais plus que tout au monde. J'aurais voulu dire qu'elle était la chose la plus précieuse que j'avais au monde. Mais je me suis tus, je n'ai rien dit. Je me suis juste levé, et je suis sorti. Parce que c'était trop dur.

« Elle s'appelait Anna »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant