CHAPITRE QUARANTE-QUATRE.

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Ethan.

Durant des années, j'ai toujours pensé que j'avais déjà connu la vraie douleur. Que celle-ci soit physique ou bien mentale, j'avais cru l'avoir déjà supportée et qu'après cela, je pouvais absolument tout endurer. Après tout, si on le veut vraiment, on peut, n'est ce pas ?

Mais qu'est ce que nous devenons, lorsque l'espoir, ou bien même l'envie de s'en sortir ont été anéantis ? Que se passe-t-il lorsque ton unique raison de vivre, la seule chose qui te donnait envie de sortir de ton lit le matin, qui te faisait sourire sans même le vouloir, n'est plus ? Qu'advient-il de nous, alors ? Lorsque tout a disparu, et qu'il ne te reste que les souvenirs pour te rappeler de la couleur que prenait ses cheveux à l'aube, ou bien de la façon qu'elle avait de plisser ses yeux lorsqu'elle riait ?

Désormais, je le savais. J'avais compris quel idiot j'avais pu être, de penser que j'avais tout connu, que plus rien ne me faisait peur. La vérité, c'était que la seule chose qui aurait toujours dû m'effrayer, c'était moi-même. Qui de mieux placé que votre propre personne pour vous démolir? Parce que c'était mon fantôme, mon esprit qui me murmurait sans cesse qu'elle était morte, et que jamais plus je ne la serrerai dans mes bras. Je n'avais jamais ressenti ce manque, cette putain d'absence qui, parfois, au moment où je m'y attendais le moins, surgissait dans ma poitrine et me terrassait. C'était une douleur atroce, qui me faisait hurler comme jamais et qui me rendait fou.

Lorsque ces crises passaient, les heures qui les suivaient étaient sûrement encore plus horribles. Les couleurs n'étaient plus, leur éclat brillant devenu aussi morne et terne que ma vie. Les paysages que je trouvais auparavant si éblouissants, n'étaient plus que de simples endroits atrocement fades. Les éclats de rire des enfants ne résonnaient plus à mes oreilles que comme des sanglots, et les fleurs, autrefois si belles et délicates, ne s'ouvraient plus au soleil. Tout cela, parce que sans elle, plus rien n'avait de sens. Puisque sans son éclat, chaque étoile s'éteignait. J'avais besoin d'elle, putain. Elle me manquait tellement. Et je savais que jamais je n'arriverais à combler le putain de vide qu'elle avait laissé.

J'ai passé des jours entiers à me tourmenter, à me demander comment elle avait pu faire une chose pareille. Elle était bouleversée, elle était épouvantée, et devait s'être sentie affreusement coupable pour une chose que je n'avais apprise que quelques heures après. Mais pourquoi n'avait-elle pas pensé à moi, qui avait désespérément besoin d'elle ? Pourquoi n'avait-elle pas pensé à toutes ces fois où j'avais réussi à la faire rire ? Pourquoi n'avait-elle pas pensé à ce qu'elle m'avait promis, de vivre jusqu'au bout ? Pourquoi ne m'avait-elle pas réveillé, ce jour-là ? Pourquoi avais-je dormi si profondément ? Pourquoi m'avait-elle offert son amour, pour me le reprendre juste après, de la pire des manières ? En se brisant, elle m'avait brisé aussi. Et je pensais que la mort ne lui avait jamais vraiment fait peur, parce qu'à l'intérieur, elle ne vivait plus depuis déjà un bon bout de temps.

J'ai longtemps marché dans la rue, après l'événement. Je marchais parmi tous ces inconnus, ces visages qui s'effaçaient de ma mémoire aussi vite qu'il étaient apparus, ces figures sans importance. Ils tourbillonnaient autour de moi, m'entraînant dans une danse infernale qui me donnait le tournis. J'avançais, comme si j'étais à contre sens, j'avançais, comme si j'étais seul dans ces rues bondées. Je n'étais qu'une figure anonyme parmi tant d'autres, mais pourtant j'avais l'impression d'être séparé des autres par un mur de verre, comme s'ils étaient à des kilomètres de moi, et pourtant si près. Même entouré de centaines de gens, mon histoire me coupait des autres.

Pendant des jours et des jours, le goût âcre des cendres dans ma bouche demeurait, comme les cendres du brasier qu'avait un jour été mon amour pour elle. Elle me manquait, c'était atroce. J'avais, au fond de moi, l'espoir fou, une foi totalement absurde, qu'elle reviendrait. Un jour, alors que je me serai reconstruis peu à peu, elle sonnerait à la porte, et je lui ouvrirais, et alors tout recommencerait. Tout irait pour le mieux, parce que nous aurions été réunis, et parce que c'était la plus belle des choses. Mais ce rêve ne durait jamais vraiment très longtemps, rattrapé trop vite par l'horrible réalité.

« Elle s'appelait Anna »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant