(Elena en média)
Ethan.
Le visage d'Anna prenait peu à peu forme sur mon carnet à dessins, se composant de coups de crayons précis et travaillés. Les cheveux étaient lâchés, exactement comme la veille, et les lèvres, pleines et sensuelles, légèrement entrouvertes. Les yeux étaient ce qui m'angoissait le plus. Le contour était quasiment fini, mais il fallait que j'arrive à trouver le secret de ce qu'ils reflétaient. Je tenais fermement mon crayon entre mes mains, et mes yeux étaient plissés par la concentration. Je finalisai la forme du visage, ainsi que les ombres autour du nez fin, avant de m'attaquer à la tâche finale, qui représenterait le gros du travail, mais aussi la première chose que l'on remarquerait, la touche qui le rendrait différent des autres.
Je relevai mes manches, et croisai le regard de Tom, qui me regardait m'appliquer. Nous étions assis sur le canapé du salon, alors que notre père était toujours à l'hôpital. Il nous avait promis de nous appeler directement s'il y avait du nouveau, et nous avait dit que l'on pourrait aller lui rendre visite le lendemain. Il nous avait obligés à rentrer à la maison, nous affirmant que de toute façon cela ne servait à rien, alors, après avoir bataillé pendant longtemps, j'avais ramené Tom avec la voiture de mon père. Il m'avait demandé de dormir avec lui, et j'avais de suite accepté devant sa mine totalement désespéré. Il n'aurait pas dû avoir à vivre cela. Moi, je faisais tout pour me distraire de mes pensées sombres. J'essayais de garder une vie normale, même si je savais que lorsque je la verrais allongée sur le lit d'hôpital, les yeux fermés, et le teint blafard, toutes les barrières que je m'efforçais de créer depuis la veille s'effondreraient une à une.
Il était vingt-et-une heures quinze, et cela faisait une heure et demi que l'on attendait en vain un appel de notre père pour nous dire que tout allait bien, et que notre mère s'était réveillée. « Les premières vingt-quatre heures sont cruciales » avait dit le médecin. Mais nous n'avions eu aucune nouvelle depuis que nous nous étions quittés dans la salle d'attente.
— Thomas, va te coucher. C'est la rentrée demain, tu vas être fatigué, lançai-je à contre cœur, en lui souriant.
Ses grands yeux gris me fixèrent pendant un moment, et alors qu'ils s'emplissaient de larmes, je pris son petit corps dans mes bras. Il se blottit contre moi et je le serrai si fort contre moi qu'il dût avoir mal, mais il se tût.
— Chuuuut...
— Co.. Comment on peut continuer à vivre normalement, alors que maman n'est plus là ?
Ses sanglots secouaient ses frêles épaules, et il avait du mal à s'exprimer. Le voir ainsi me brisait le cœur, mais je me devais d'être fort, car papa n'était pas là, et que j'étais le plus grand des deux. Je ne pouvais pas me laisser aller à mon chagrin.
— Maman est toujours vivante, Tom. Elle ne va pas tarder à nous rejoindre, j'en suis sûr. Dis-toi qu'elle fait juste une petite sieste, et un jour tu te réveilleras, et tu la verras dans la cuisine en train de préparer ton petit déjeuner. En attendant, il faut que tu ailles dormir, parce que demain, c'est du sérieux !
Je déposais un bisou dans ses cheveux, et le portais en allant vers sa chambre. Il s'était arrêté de pleurer, et souriait, désormais. J'ouvris la porte et entrais dans sa chambre de petit garçon qui fut la mienne, autrefois. Je le déposais sur son lit, le bordais, et éteignis la lumière en chuchotant :
— Dors bien, petit frère.
— Je t'aime, Et'.
Un sourire apparut sur mes lèvres, tandis que je répondais :
— Je t'aime aussi, petit monstre.
Je fermais la porte, et quelques minutes plus tard, j'entendis des petits ronflements s'échapper de la chambre. Je retournais m'asseoir sur le canapé, et repris mon dessin. J'essayais tant bien que mal de me rappeler de chacun de ses traits, chacune de ses expressions, et je ne mis pas longtemps à me rappeler de ses yeux fascinants. Je repris mon crayon en mains, et me mis à tracer des contours fins et discrets qui seraient le squelette du secret de ses yeux. Mes doigts, habitués à faire et refaire le mouvement, étaient rapides et efficaces. J'étais tellement concentré que la sonnerie de mon téléphone me fit sursauter. Le cœur battant, je me jetais dessus, m'attendant à un message de mon père, mais je me calmais en voyant le prénom de ma meilleure amie s'afficher.
De : Elena à 21h28.
Il faut que je te parle. Je peux t'appeler ?
Je me rendis compte que moi aussi, je devais lui parler. J'avais besoin de me confier, à propos de ma mère, parce que je ne pouvais pas porter tout cela sur mes épaules, sinon j'allais exploser. D'une main tremblante,je me levai, actionnai la touche « appel », et portai l'appareil à mon oreille. Elena répondit deux sonneries plus tard.
« Allô ? »
— Salut, dis-je. Dis moi ce qui ne va pas, El.
Un silence se fit entendre, et je sentis son malaise.
— J'ai... J'ai couché avec Lucas à la soirée.
Je remerciai le ciel d'avoir eu la bonne idée de m'asseoir. J'eus un hoquet, et restai hébété pendant plusieurs instants. Lorsque je repris enfin mes esprits, je bégayai:
— Q.. Quoi ?
— Je sais que c'est choquant, mais, on n'avait pas les idées très claires, et tu sais ce que je ressens pour lui.
Elle m'avait avoué des années auparavant ses sentiments pour Lucas. A vrai dire, je l'avais déjà remarqué. Il n'y avait que Lucas qui ne voyait pas les regards qu'elle lui lançait lorsqu'elle pensait que personne ne la voyait. Elle avait des étoiles dans les yeux, et semblait être la personne la plus chanceuse du monde.
— Mais... Est ce qu'il regrette ? Et toi ?
Je sentis le sourire dans sa voix quand elle déclara :
— Tu sais bien que pour ma part, bien sûr que non, je ne regrette pas. Et j'ai croisé Lucas à la bibliothèque, aujourd'hui, et.. je ne pense pas qu'il regrette non plus.
J'étais vraiment content pour eux, s'ils s'aimaient. Évidemment, ça me laissait un peu de côté, mais je n'étais pas pour le moins du monde blessé ou quoi que ce soit. Seulement, une crainte subsistait dans mon esprit. Lucas n'avait jamais été très sérieux avec les filles, et j'avais peur qu'il ne blesse El. Elle l'aimait si fort, que je n'étais pas sûr qu'elle s'en remettrait.
— Mais du coup, vous êtes en couple ou non ?
Elle réfléchit un instant.
— Non, je ne pense pas. Enfin, il ne m'a pas embrassée ni rien, mais.. il était différent. Tu vois ce que je veux dire ?
— Oui, bien sûr. C'est génial, El. Je suis super content pour toi, vraiment.
Elle ne répondit pas, mais je pouvais presque voir ses yeux briller et son sourire s'élargir dans la pénombre. Seulement, j'avais aussi à lui parler..
— El, il faut que je te dise quelque chose...
— C'est grave ? Je t'écoute.
Sa voix s'était immédiatement tendue, comme si au fond d'elle-même elle savait que quelque chose d'important était arrivé, quelque chose qui avait bouleversé ma vie.
— C'est... C'est ma mère. Elle a eu un accident. Ils l'ont plongée dans un coma artificiel, pour qu'elle guérisse mieux. Ils... Ils ne savent pas si.. elle se réveillera un jour.
Ma voix s'était brisée à la fin de la dernière phrase. C'était la première fois depuis la veille que j'avais flanché. Aussitôt, des larmes envahirent ma vue, et je sentis toutes mes défenses s'écrouler en un instant, alors que mes genoux faiblirent, et je tombai à terre sur le carrelage froid. Maman...
— Oh, mon dieu...
El était sous le choc. En même temps, comment ne pas l'être en apprenant une nouvelle pareille ? Certes, ma mère avait des chances de s'en sortir, mais la chance en avait peut-être assez d'être de notre côté, après tout ce temps.
— Ethan, je suis tellement désolée... Je ne t'aurais jamais parlé de choses aussi futiles si j'avais su... Tu es allé la voir ?
Je ravalai mes sanglots et fis un effort considérable pour essayer de parler intelligiblement, mais j'avais un poids qui entravait mes poumons, qui m'empêchait de respirer sans que je n'ai envie d'éclater en sanglots, sans que je n'ai envie de tout regretter.
— Non, je... je vais y aller demain, après les cours je pense.
— Tu tiens le coup ?
Et ce fut la question de trop. A peine eut-elle fini de la poser, que tout s'écroula totalement, j'éclatai en sanglots, et j'avais mal, tellement mal. Non, je ne tenais pas le coup. Non, malgré tous les efforts que je faisais pour penser à autre chose, pour aider mon frère et mon père, non je ne tenais pas le coup, non je n'allais pas bien. Ma mère me manquait horriblement. La savoir seule, dans une pièce loin d'être accueillante qui sentait le désinfectant, entourée de toutes ses machines aux bips incessants, me rendait malade. Je voulais qu'elle revienne à la maison, et qu'on reprenne tout comme avant, que tout redevienne normal.
— Non...
Ma voix était suppliante, pathétique. J'avais perdu tout dignité, mais peu m'importait. J'avais besoin de ma mère.
— Oh, Ethan... Je suis tellement désolée...
Et moi donc, Elena. Et moi donc.
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« Elle s'appelait Anna »
Novela Juvenil«I don't know what I'm supposed to do, haunted by the ghost of you » « Elle était un ange, et ici-bas, c'était l'enfer. Comment pouvait-elle ne pas se brûler les ailes? » « Lorsque Anna et Dimitri Versakovich arrivent dans les vies d'Ethan Jack...