« Elle s'appelait Anna »

CHAPITRE HUIT.

LIRE AVEC LA CHANSON.

                       

Dimitri. 

    Nous arrivâmes sur la plage quelques minutes plus tard, alors que la nuit commençait doucement à envelopper la ville silencieuse. Je claquais la portière, tandis que Lisa commençait déjà à franchir la petite pente pour arriver face à l'océan. Je resserrais mon anorak autour de moi, et jetais un regard à Nolan à côté de moi, qui me sourit. Il avait des traits très fins, presque féminins, ce qui lui donnait un charme incontestable. Ses  cheveux étaient de la couleur du sable chaud, et des yeux d'un marron tendre, des yeux pétillants et rieurs qui te mettaient de bonne humeur instantanément. Ses mâchoires étaient très fortement marquées, ce qui contrastait totalement avec la douceur de ses traits. 

— Arrête de me mater Dim, tu vas me faire rougir.

    Un sourire étira mes lèvres, et nous nous mîmes à marcher en direction de la mer, tandis que Lisa était passée de l'autre côté de la colline. La brise passait doucement dans nos cheveux, et lorsque nous eûmes fini de suivre le sentier montant, je sentis mon cœur se gonfler à la vue de cet endroit magnifique. Lisa avait emmené son enceinte et avait mis la chanson « Holocene » de Bon Iver, et mon estomac fit des courbettes lorsque je me rendis compte à quel point j'étais bien. Les notes apaisantes résonnaient dans l'endroit désert, tandis que je ne pouvais détacher les yeux de ce somptueux spectacle. Le ciel avait considérablement changé en une petite demi-heure : il s'était chargé de lourds nuages plus ou moins gris, qui semblaient nous menacer d'éclater à tout moment. Il se confondait avec les eaux de l'océan, qui semblaient quasiment noires, et s'écrasaient violemment contre le sable blanc, et, plus haut sur la côte, contre les roches imposantes. Les mouettes s'agitaient dans tous les sens au-dessus, criant de tous les côtés, voletant paisiblement. Les effluves que j'avais devinées quelques instants auparavant emplissaient désormais tout mon odorat, pour mon plus grand plaisir.

     Je m'avançais devant les vagues, écoutant attentivement l'enivrante voix du chanteur, mélangée au bruit des vagues. Je fermais les yeux, et savourai la sensation des infimes gouttes d'eau qui étaient projetées contre ma peau, et toutes ces choses, plus agréables les une que les autres, me dégageaient le cœur d'une cage dans lequel il était emprisonné depuis l'accident, et pour une fois depuis longtemps, je me sentais enfin vivant. J'avais l'impression de pouvoir déplacer des montagnes à la simple force de mes bras, d'arrêter des guerres d'une simple parole, de remplacer la souffrance et la haine par l'amour et la paix. J'étais libéré, libéré d'une chose qui m'avait hanté pendant trop longtemps, alors que je n'y étais strictement pour rien. 

    Trois mois plus tôt.

    C'était une de ces jolies soirées de début juin, où l'air s'est légèrement rafraîchi, où le ciel est d'un bleu légèrement foncé, et où la nuit ne va pas tarder à tomber. Il était aux alentours de vingt-trois heures, et j'étais tranquillement assis sur un fauteuil, sur notre terrasse, en lisant un livre passionnant, ma tasse de thé à côté. Les chants des grillons, mêlés à ceux des oiseaux me berçaient tout doucement, tandis que le vent m'apportait les effluves des fleurs que ma mère avait plantées quelques mois plutôt. Désormais, celles-ci avaient éclos, et des tâches de couleurs flamboyantes illuminaient le gazon verdoyant. Elles étaient abondantes de beauté et délicatesse. Les pétunias violettes cohabitaient avec les somptueuses narcisses, tout comme les géraniums. D'autres espèces de fleurs pullulaient sous un énorme saule pleureur, qui était là depuis des années. Quelques abeilles flânaient au-dessus des plants de lavande. Tout était si paisible.

    Je tournais la page de mon livre, et fus aspiré une fois de plus par les aventures de l'héroïne. J'avais presque fini de le dévorer, ce qui ne me ravissait absolument pas. C'était ce genre de livre que l'on ne voulait pas lâcher, pour rien au monde, un de ceux dans lesquels on veut vivre, même si l'histoire n'est pas spécialement heureuse.