CHAPITRE VINGT-QUATRE.

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LIRE AVEC LA MUSIQUE. 

Elena.

Il était temps. Je savais que j'avais assez attendu et que je ne parviendrais plus à cacher ma grossesse encore très longtemps. Et puis, c'était devenu un fardeau trop lourd à porter pour mes seules épaules. J'avais besoin d'aide, c'était un fait. Et ma famille avait le droit d'être au courant. Je leur devais au moins cela. Malheureusement, ce jour-là, Nathaniel était parti chez sa copine, et ne reviendrait qu'une semaine plus tard, et je ne voulais plus attendre. Alors, en me regardant dans la salle de bain, moi, Elena Johnson, j'ai inspiré profondément, et j'ai descendu les escaliers. Mes parents étaient assis sur le canapé, ma mère lisant un livre, la tête appuyée sur l'épaule de mon père qui regardait la télé d'un air sage. Ma mère a levé les yeux, m'a souri et m'a dit :

–- Tout va bien, ma chérie ?

Non. Je suis sur le point de changer votre vie pour toujours, et je ne sais absolument pas comment m'y prendre. Au lieu de ça, j'ai souri à mon tour, et j'ai dit d'une voix que j'espérais ferme :

— J'ai quelque chose à vous dire.

A ces mots, mon père a tourné les yeux, et voyant mon regard, a éteint la télé. Ils se sont redressés, et j'ai expiré en m'asseyant. Autour de nous, disposés un peu partout dans le salon, il y avait tous les souvenirs de ma vie, et de celle de Nathaniel. Sur la cheminée, il y avait un portrait de moi, à six ans, alors que j'étais déguisée en papillon pour le carnaval. Sur le meuble télé, il y avait une photo de nous quatre, en voyage au Canada, à Noël, nos sourires brillants immortalisés à jamais. Enfin, sur la table basse, une photo de Nathaniel qui me faisait un bisou sur la joue, à mes quinze ans. Cette pièce était un musée de toutes nos vies, du mariage de mes parents jusqu'aux dix-huit ans de mon frère, en passant par les rentrées scolaires. En regardant tout cela, je me suis rendu compte que je n'étais plus une enfant, désormais. J'avais des responsabilités d'adultes, malgré mon âge, et j'étais sur le point de briser toute cette insouciance à jamais. En sentant les regards de mes parents sur moi, j'ai hésité. J'ai hésité à ne pas tout simplement faire comme si de rien n'était, à éviter, ou alors à m'enfuir, à ne pas les décevoir, et à revenir des années plus tard, lorsque mon enfant serait grand, et que je serai mûre. Mais ce n'était pas envisageable. Alors, j'ai dégluti, et j'ai croisé les yeux verts de mon père, qui semblaient un tantinet inquiets, mais qui témoignaient de la totale confiance qu'il avait en moi.

— Qu'y a-t-il, ma puce ?

La voix de ma mère, celle que j'avais entendu tant de soirs lorsque j'étais petite et qu'elle fredonnait des berceuses quand je faisais des cauchemars, celle qui m'avait toujours soutenue lorsque j'avais eu besoin d'elle, m'a redonné confiance. Elle a gonflé mes poumons d'espoir, et je me suis dit que c'étaient mes parents, et que leur job, c'était de réparer mes erreurs, de m'aider. Jamais ils ne m'abandonneraient. Ils m'aimaient, je ne devais jamais douter de cela. Et je les aimais, aussi. J'ai souri paisiblement, parce que je n'avais aucun raison de m'inquiéter.

— J'ai fait une erreur. Une erreur qui... qui a d'énormes conséquences. Mais je suis prête à les assumer. Il fallait juste que vous le sachiez. Je vous le devais.

Je les vis se raidir, et le regard de mon père se durcir quelque peu, mais j'ai continué, aveuglément :

— Je... Je suis enceinte.

A quoi est-ce que je m'attendais, exactement ? A ce qu'ils sautent de joie, qu'ils me prennent dans leurs bras et qu'ils organisent une fête en l'honneur de mon bébé ? A ce qu'ils hurlent à quel point j'étais irresponsable, que j'étais absolument irrécupérable ? A ce qu'ils me giflent, qu'ils me disent que j'étais la honte de la famille ? A ce qu'ils me disent qu'on y arriverait, tous ensemble ? A ce que ma mère s'évanouisse, et que mon père soit dans le déni ? Ou bien à ce qu'ils soient en colère, mais une fois le choc passé, qu'ils m'assurent que tout allait bien se passer ? Bien sûr, que je m'attendais à cela. Ils étaient mes parents. Je m'attendais à subir des cris pendant plusieurs jours, mais au fond, j'aurais su qu'ils se sentaient un tant soi peu concernés. J'aurais su qu'ils m'aimaient. Je ne m'attendais, en revanche, absolument pas à la froideur qui figea les traits de ma mère, ou au visage impassible de mon père. Je m'attendais à tout, sauf au silence glacial qui s'étirait autour de nous.

« Elle s'appelait Anna »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant