6

188 32 90
                                    

En se réveillant, Asha ne se sentait plus réellement enfermé, et bien que son mal de crâne lui fut désagréable, il soupira d'aise en constatant que cette fois, ce n'est pas tout un troupeau qui était attablé autour de lui.

Lorsqu'il se redressa, il vit l'enfant adorable qui, un peu plus tôt, l'avait défendu quand la situation avait dégénéré.

- Ah, tu ouvres les yeux ! S'exclama-t-elle de sa voix fluette tandis qu'elle s'avançait vers lui. J'étais en charge de te surveiller. Normalement, je devrais aller prévenir Abel, mais il est très tôt et j'aimerai bien qu'on discute, toi et moi.

Asha devait paraître plus inquiet qu'il ne l'aurait voulu, car la fillette s'esclaffa.

- Ne fais pas cette tête ! Je veux juste mieux te connaître. En échange, tu me connaîtras mieux, aussi. Informations contre informations. Ça te va ?

Asha opina légèrement, essayant de trouver une position qui ne lui ferait pas trop mal.

- Tu n'as pas l'habitude de parler, hein ?

Après quelques secondes de silence complet, Asha répondit par un simple "Non".

- C'est pas grave, on dit souvent que je pourrai faire la conversation à moi seule. Déjà... Tu t'appelles comment ?

- Je... Me suis fait appeler Asha.

La fille rigola, avant de reprendre son sérieux.

- Pourquoi avoir choisi ça ? Je veux dire, tu ne leur ressemble en rien.

- Justement, ça montre que je suis différent. J'ai le même nom, mais moi au moins ce n'est pas un acronyme. C'est une identité. Je crois.

- Ouh, c'est trop philosophique pour moi ça ! Peu importe, Asha, c'est joli. Je peux t'appeler Ash ?

Elle n'attendit pas d'avoir de réponse.

- Bon, je respecte ma part du marché. J'me présente. Moi, on m'appelle Juv'. C'est le diminutif de Juvénile. C'est pas un prénom, je sais, mais je n'ai jamais eu d'autre nom. Alors quand j'ai été recueillie ici, on m'a appelé comme ça.

- C'est vrai que tu es très jeune. Je veux dire, Juvénile, ça te correspond bien. Je pense.

Asha était mal à l'aise alors qu'il tentait de répondre. C'était dur pour lui de trouver les mots, et plus dur encore de tenir cette conversation.

- Ça va peut-être te choquer, répondit Juvénile en riant, mais j'ai 21 ans en fait. J'ai juste l'apparence d'une gamine. Ça doit être un truc génétique ou quoi, Même Abel n'en est pas sûr.

Asha restait bouche-bée. Alors elle était adulte ?

- Eh oui, ça fait de l'effet hein ? Ça a ses avantages comme ses inconvénients, tu t'en doutes. Mais assez parlé de moi, à ton tour maintenant. Tu sais quel âge tu as ? Je veux dire, t'as une date de fabrication ou quoi ?

Asha prit le temps d'y réfléchir. Il lui semblait avoir toujours été avec George. Il ne se souvenait pas d'avant. De quel Institut venait-il, à quel moment il fut vendu. Tout ça était trouble et ça le dérangeait plus qu'il ne l'aurait admis.

- Je... Je n'en sais rien. Je sais que je suis resté avec George pendant cinq ans. Je ne me souviens même plus du moment où j'ai été acheté. J'ai dû être formaté, ou quelque chose comme ça. D'où je viens ? De quand je viens, et donc quel âge j'ai ? Je ne peux pas vraiment te répondre.

Juvénile fit mine de réfléchir.

- Je vois. Et... Qui est George par rapport à toi ? D'après ce que j'ai compris, c'est lui qui t'as acheté non ? Tu n'arrêtais pas de répéter son nom quand tu étais inconscient.

Asha se figea presque lorsqu'il entendit ces mots, et il mit un certain temps avant de répondre.

- George était mon maître, oui. Je faisais le ménage pour lui et... Je... Je n'ai pas réellement envie de parler de lui... Disons que ce ne sont pas d'excellents souvenirs.

- Je comprends, Asha, désolée.

Asha se laissa envahir par des souvenirs trop récents, et il fut vite apeuré par ses dernières actions. L'ampleur de son acte devenait démesurée et prenait des perspectives détournées et suffisamment terrifiantes pour le rendre paranoïaque. Et si on le retrouvait ? Et si, d'un moyen ou d'un autre, George n'était pas mort et revenait pour l'emmener de force ? Et si, à son tour, il se faisait tuer ? Toutes ces suppositions plus ou moins probables donnèrent à Asha un certain mal de crâne, et la voix autoritaire de Juvénile le sortit de sa torpeur.

- Asha, Asha ! Souffle un peu, ça va aller ! Tu es livide de peur. Ne pense plus à ton passé, s'il est si terrible. Maintenant, tu es avec nous, en sécurité. Du moins pour un moment. Écoute, Asha, je vais te laisser tranquille. Peut être que d'autres vont venir, il y en a quelques-uns qui aimeraient te connaître. Mais peu importe ce que certains pensent, tu es des nôtres. Ne te préoccupes pas de tes antécédents, et ne réfléchis pas trop. Je te promets que tu finiras par en savoir plus.

Elle marqua une pause significative, accompagnée d'un sourire qui se voulait maternel et affectif.

- Pour le moment, repose toi. Profite des quelques instants de paix qui te sont accordés. Ils te seront retirés bien assez tôt...

Et c'est sur ces mots plus ou moins rassurants que Juvénile sortit de la pièce, en refermant la porte avec une douceur assortie à sa voix.

Elle ne fut pas surprise, d'ailleurs, de retrouver derrière cette porte Abel, un carnet à la main, un stylo s'agitant frénétiquement de l'autre.

- Abel, c'est très malpoli d'écouter aux portes !

Ce dernier soupira lascivement, visiblement agacé par les propos de son interlocutrice.

- Juv', tu sais très bien que j'ai besoin d'un maximum d'informations sur lui. J'aimerai savoir s'il peut nous être utile ou non. Je suis un scientifique, bon sang ! Il me faut des données !

- Ce n'est pas un rat de laboratoire, Abel.

- Mais ce n'est pas un humain non plus, Juvénile.

Juvénile se retint de lâcher un grognement, avant de répondre à Abel.

- N'était-ce pas toi qui a dit à Aimé qu'il était plus humain que nous tous ?

- Quoi ? Tu nous écoutais ? C'est...

- C'est ce que tu as fait à l'instant, coupa Juvénile.

Cela se voyait que Abel était à deux doigts d'exploser dans sa colère, et cela ne fit qu'amuser Juvénile.

- Tout ce que tu trouves différent, tu veux l'étudier sous tous les angles sous prétexte que tu as besoin de tout savoir. Mais Asha se pose déjà suffisamment de questions sur son existence, il n'a pas besoin que quelqu'un d'autre se les pose pour lui.

Ces propos eurent le don de mettre Abel hors de lui, et Juvénile se hâta de trouver une issue, souhaitant éviter les problèmes qu'elle avait posé.

Derrière la porte, métallique mais décidément pas isolante, Asha se trouva plus que jamais seul.

Il était entouré de gens, d'inconnus, dont il ne connaissait pas les réelles intentions.

Son futur était plus flou que jamais.

Et il était seul pour l'affronter.

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant