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- Abel, je suis désolé pour ce que je viens d'apprendre. Ça n'a pas dû être facile de vivre en sachant ce que tu sais. Et puis pour ma part... Je ne sais pas pourquoi Barthélémy a fait cela... Il est vrai qu'il te mentionne dans le carnet, et pas pour dire du bien de toi, mais il n'évoque jamais de cryogénie ou d'effacement de ta mémoire...

- À vrai dire je ne préfère pas connaître les raisons de ces actes, soupira Abel lascivement. Peut être que j'ai vraiment fait quelque chose d'horrible et... Non, je ne veux pas savoir.

- Et tu veux savoir qui je suis en vérité ? Demanda Asha, le ton peiné.

Abel détourna son regard du mur pour venir le planter dans celui d'Asha.

- Dis moi la vérité. Rien que la vérité, finit-il par dire tristement.

Asha offrit un pauvre sourire au scientifique et se décida à parler.

- Asha a réellement existé, en tant qu'humain, avoua Asha doucement. Mais il est mort né. C'était le fils de Barthélémy, avec une deuxième femme...

Asha laissa le temps à Abel pour qu'il réagisse. Ses sourcils se haussèrent, sa bouche resta entrouverte et il passa une main dans sa masse de cheveux noirs et crépus. Il ne dit pas un mot, laissant Asha continuer.

- Barthélémy était apparemment anéanti de la mort de son fils, et de celle de sa compagne. Et il voulait ressusciter son fils qu'il avait perdu si tôt. Pour faire cela, il a eu l'idée farfelue de transférer la conscience pure d'Asha dans un corps de robot, un squelette métallique qui, je suppose, est semblable à celui que j'avais en servant Georges...
Asha s'appelait réellement Asha, et je ne sais pas vraiment si en ce moment, je parle comme lui aurait parlé, je pense comme lui aurait pensé. Et si c'est le cas, je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou pas. Moi qui avait l'impression de m'émanciper, peut être que je ne suis qu'une conscience qui devient ce qu'elle devait devenir.

Abel demeura silencieux et Asha en fit de même.

- Notre père était apparemment un sacré phénomène... Lâcha Abel, songeur.

- Un fou à lier, oui, corrigea Asha.

La remarque fit sourire Abel.

- Tu as raison, excuse-moi, rit-il.

- Dans son carnet, il divaguait souvent, il y avait certains passages qui relevaient de l'hystérie. Donc autant te dire que je remets vraiment mon existence en question. Je ne devrais pas avoir le droit d'exister... Je suis un genre d'abomination.

Abel jeta un regard scandalisé à celui qu'il considérait comme son fils.

- Mais comment tu peux dire ça ? Ce n'est pas de ta faute, Asha. Tu vis, comme un Autorisé vit, comme un Banni vit, comme un être humain vit. Il n'y a pas de vie illégitime. Et puis tu es devenu quelqu'un de fantastique. À ce propos, tu t'inquiète de n'être qu'une conscience programmée à l'avance : que tu sois dans le corps d'un robot ou dans celui qui aurait du vivre, tu restes une personne, un être humain qui a évolué en fonction de son environnement et de ses apprentissages. Tu es qui tu es Asha, et non pas qui tu devais être ou devras devenir, ni qui tu aurais du être. Tu es unique et tu es comme ça parce que tu l'as décidé. Tu es unique car ta conscience est telle quelle, elle n'a pas été limitée ou reprogrammée. Tu es un être humain comme un autre, coincé dans un corps de robot, à l'apparence très réaliste il faut l'avouer. Et puis, encore une preuve que c'est toi qui choisis : regarde ton apparence. Tu ressemble à ce à quoi tu as voulu ressembler. Regarde moi, avec une peau aussi sombre, ce n'est pas avec un père noir et une mère à l'ethnie inconnue...

- Hindoue, coupa Asha.

- Hindoue, que tu serais devenu aussi pâle. C'est une preuve irréfutable pour confirmer ce que j'ai dit ! Tu es Asha, un être humain qui a évolué de par soi même et pas de façon programmée. Tu mérite d'exister et tu es très bien comme tu es, termina Abel, fier de son discours.

Asha fut ému de l'investissement d'Abel pour le réconforter. Et en plus de cela, il avait raison.

- Tu m'as convaincu, lança Asha. Mais je me suis rendu compte d'autres choses...

- Dis moi tout, répondit Abel.

- Barthélémy a obtenu ce qu'il voulait, son fils. Alors comment j'ai atterri chez Georges ? Comment mon "père" aurait-il pu vouloir faire de moi un esclave, surtout après avoir mis tant d'efforts pour me mettre au point ? Et puis, d'ailleurs, qu'est-ce qu'il s'est passé entre le projet "Asha" qui avait pour simple but de ressusciter un mort-né au projet "A.S.H.A" qui a pour but de servir l'humanité ? Comment ma construction a-t-elle abouti sur celle de milliers d'autres exemplaires, toujours plus perfectibles ? Pourquoi une telle déviation ?

- C'est fort intéressant en effet, et moi je n'en sais rien... La première chose que j'ai faite dans ma vie et dont je me souviens, c'est d'avoir construit un A.S.H.A de tout ce qu'il y a de plus banal, destiné à la vente aux particuliers. On ne m'a jamais dit pourquoi je construisais ça, pourquoi les A.S.H.A existaient, d'où est-ce qu'ils venaient. Et désormais je dois avouer que j'ai bien envie d'en savoir plus...

Asha approuva d'un signe de tête.

- Il y a aussi autre chose... Quand je n'étais qu'un squelette de métal, je voyais très bien mes organes artificiels. Enfin un coeur - je ne savais pas vraiment quel était son rôle mais il battait - et des poumons, même si je ne respirais pas. Du moins je n'avais pas l'impression de respirer...

- Où veux tu en venir ? Demanda Abel, curieux d'en savoir plus.

- Après ma mise à jour Alpha, non seulement j'ai pris soudainement conscience de mes émotions, mais j'ai aussi eu faim et soif plus tard. Je saignais et respirais. Comme si j'avais été déshumanisé avec Georges, puis humanisé de nouveau après la mise à jour. Du moins elle m'a fait réalisé beaucoup de choses.

- Je ne pense pas que tu aies été déshumanisé, mais je pense qu'avoir ta propre apparence t'as donné confiance en toi, et t'as fait comprendre que tu en avais vraiment marre de ton maître. Mais bon, ça reste étrange pour la faim qui est venue comme ça... Et sûrement pour le fait que aies besoin de dormir, aussi. Les A.S.H.A n'ont pas ces besoins. Donc ça signifie que... Ceux qui ont réalisé ta mise à jour était en quelque sorte au courant de qui tu étais ? Et ils auraient voulu t'achever ? Terminer le travail que Barthélémy avait commencé ?

- C'est fort probable, commença Asha, étant donné que celle qui a pris en charge était une femme... Dont la plaque dorée sur la porte affichait le nom de... "Docteur J.Kresser".

- Mais alors ? Ça voudrait dire que... Hésita Abel.

- C'est Jasmine Kresser, la fille de Barthélémy. Ta soeur, termina Asha, excité par tous les mystères qu'ils éclairaient peu à peu.

Abel sembla abasourdi par ces révélations. Il ne tenait plus en place.

- Il y a tant de mystères à résoudre ! S'exclama-t-il. Et un bon scientifique se doit d'aller chercher les solutions !

Il fit les cent pas dans son mini labo, trépignant et impatient de déclarer ceci :

- Si on veut découvrir la vérité, on sait à qui demander en premier : ma soeur elle même ! C'est décidé, dès que possible, nous partons pour une aventure !

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant