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Le troisième jour eurent lieu les funérailles. 

Il n'y avait rien d'éblouissant. Mais tout le monde était réuni dans la salle commune, entouré d'un silence solennel. Abel s'était occupé d'incinérer le corps et de concevoir une urne décente. Et c'est lui que se tenait debout, devant le demi cercle de chaises occupées par chacun des survivants. 

- Mes chers amis, mes chers frères et mes soeurs... Un jour comme celui ci se devait d'arriver. La Mort... La Mort, même ceux d'en haut tentent de l'arrêter. Mais on ne peut pas. Et ici bas elle peut se montrer sans pitié. Qui sommes nous face à elle ? Qui sommes nous pour l'éviter ? C'est sur nous tous qu'elle a décidé de frapper, en commençant par le plus brave, l'homme qui possédait le plus de sang froid parmi nous. Un homme qui pouvait se montrer doux comme un agneau et féroce comme un loup face aux menaces. Un homme, mais aussi un ami, un modèle, un maître, un amant. Et un père, un père qui restera fier, d'où qu'il soit ! 

Personne n'osa regarder Kalypso qui pleurait silencieusement. 

- Sachez tous, en tout cas, continua Abel,  que ce qui est arrivé n'est de la faute de personne (son regard se posa sur Aimé). Et si quelqu'un peut être remercié ici, c'est Asha qui a, par je ne sais quel miracle, réussi à anéantir un authentique A.S.H.A. Suite à ces précisions... Je laisse la parole à Kalypso, ou à qui veut la prendre. 

Personne ne s'attendait à ce que la militaire se lève, mais elle fit, arrêtant la course de ses larmes. Elle resta debout pendant plusieurs instants, les poings serrés et tous les muscles tendus. 

- Tu n'avais pas le droit, t'avais pas le droit de laisser tomber, Gaëtran. T'es père maintenant, faut assumer tes responsabilités ! Je... Je vais te montrer que je peux être la meilleure des mères, et faire de notre enfant le meilleur. Et quand je te rejoindrai... Crois moi que ça va barder. 

Elle partit se rasseoir, de façon très brutale. Le silence perdura ensuite, et c'est Thomas qui finit par se lever. 

- Je pense pouvoir parler au nom de tous... Ta mort, Gaëtran, m'affecte énormément. Et je veux juste dire que tu vas beaucoup me manquer. Tu étais un homme vraiment bien, un chic type ouais. Et la vie sans ta présence, aussi essentielle que toutes les autres, ne sera plus jamais la même. 

Il se tut et retourna à sa place, le cœur lourd. 

Pendant un assez long moment, personne ne se leva. C'est au moment où Abel allait clôturer la cérémonie funèbre qu'Asha se tint debout. Tout le monde se tourna vers lui. Y compris Aimé. 

- Très bien... Je pense que c'est la première fois que je vais parler autant devant chacun d'entre vous. Et le faire dans ces conditions me désole fortement. Je ne sais pas réellement quoi penser. Je pense que cette mort... M'affecte bien plus que je ne l'aurais pensé. Vous savez... Je sais que je ne suis pas totalement humain. Je sais que certains d'entre vous me détestent pour ça. Ou ont peur. Et après avoir vu ce que j'ai vu, je ne peux que vous comprendre. Cette... Machine à tuer était des plus abominables. Mais le plus dur à réaliser, c'est que quelque part, je suis comme lui. Bien que mon cas soit particulier, je suis très sûrement fait d'acier et d'algorithmes, et quelques lignes de chiffres auraient sûrement pu faire de moi un modèle semblable. Et ce qui m'attriste encore plus... C'est de savoir que je suis l'un des premiers spécimens, et que ma création a abouti sur celle de pareilles machines de guerre ! Je pensais d'abord que les A.S.H.A étaient faits pour servir l'humanité, et non l'anéantir. 

Personne ne dit rien, mais tous étaient harponnés par le discours d'Asha. 

- En bref... Assister à tout ça m'a perturbé au plus haut point... Et je ne souhaite plus qu'une chose. Je ne veux pas que vous me compariez à ces brutes de robots. Et pour vous en convaincre, je vais rester. Je vais rester avec vous et me battre, je continuerai d'aller à Slumtown, en risquant ma propre vie pour protéger la vôtre. Vous m'avez déjà sauvé et accueilli, alors je vous en remercierai en faisant de mon possible pour aider. Et si je devais oser attendre quelque chose en retour... Ce serait seulement que vous puissiez penser que je suis différent. Que je ne suis pas un A.S.H.A et que j'ai le droit de vivre parmi vous. Sur ces paroles, je tiens une dernière fois à exprimer mes regrets et ma profonde tristesse à propos de la mort de Gaëtran, dont le sacrifice a démontré sa bravoure jusqu'au bout. Repose en paix...

En terminant, Asha sentit des larmes couler le long de ses joues. Il ne s'en réjouit pas et accepta le fait qu'il pleurait. Il acceptait de montrer sa faiblesse, il acceptait de montrer son humanité. 

Il se rassit et Abel reprit sa place au centre. Ce dernier murmura un "adieu" et se saisit de l'urne pour la remettre à Kalypso. 

Tous se levèrent et certains, n'ayant pas la tête à rester, repartirent à leurs activités. Abel s'approcha d'Asha et murmura en passant à ses côtés :

- Dans mon labo, maintenant, fiston. 

Asha le suivit donc sans poser de questions. Abel poussa les portes de son endroit favori et laissa Asha entrer. Ils s'assirent où ils purent. 

- C'est un sacré discours que tu nous a fait là, tu sais ? 

- J'ai dit ce que j'avais sur le cœur... Et ça pesait assez lourd. 

- J'ai surtout été impressionné par ta façon de parler. C'est dingue à quel point lire a enrichi ton langage. Je ne m'attendais pas à d'aussi bons résultats. 

Asha se contenta de regarder le scientifique en haussant un sourcil. 

- Je ne crois pas que ce soit le moment de parler d'expériences... 

Cela fit soupirer le concerné. 

- Je le sais... Mais je préfère penser à autre chose que de déprimer pendant des jours et des jours. J'étais assez proche de Gaëtran, tu sais ? Ce fut un des premiers réfugiés ici. Il m'a bien souvent aidé lors de mes premières recherches, expéditions et autres... Nous avions passé de bons moments ensemble. 

Asha ne sut pas quoi répondre. 

- Désolé d'avoir pu penser que ça ne t'affectait pas...

- Tu n'as pas à l'être, fiston. Mais parlons de ce que j'ai à te dire. Il s'est passé quoi là-bas ? Entre toi et l'autre tas de ferrailles ? 

- C'est assez étrange à expliquer... Il me semble que j'ai eu accès à tout. Ses circuits, mécanismes, programmes... Et j'ai détruit son algorithme pour le neutraliser. Tout ça en le touchant. 

- C'est un genre de connexion, si je comprends bien... Peut-être un truc qu'ont tous les A.S.H.A ?

- Je ne suis pas sûr. Avant cela, je ressentais un mal de crâne conséquent. Des grésillements... Comme des brouillages. Et je n'avais pas tout ça quand j'ai été à proximité des quelques autres A.S.H.A que j'ai rencontré. Si ça se trouve, ce n'était qu'avec lui... Un bug ou quoi. 

- Tu pourrais avoir aussi bien raison que tort. Mais il est plus juste de favoriser la prudence tu as raison sur ce point. Je pense que tu devrais t'entraîner à te battre, tu sais. 

Asha opina. 

- Ça ne peut qu'être utile... Mais tu comprends que je ne veuille pas commencer l'entraînement tout de suite. 

Le silence reprit sa place. Mais Asha le brisa rapidement.

- Abel... J'ai de plus en plus envie de lire ce vieux journal... Je ne suis pas totalement un robot, mais je ne suis pas vraiment un humain non plus. 

Abel ne répondit rien. Il s'était de toute manière préparé à entendre cela. 

- Qui suis-je, Abel ? 

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant