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Une famille.

C'était ce qu'Asha n'avait jamais eu. De ce fait, le terme était très flou pour lui. Cela devait se voir, car le sourire de Thomas s'effaça légèrement.

- Dans une famille, on est soudé. On s'entraide. On ne se juge pas, n'est-ce pas ? Ajouta-t-il avec un regard vers Aimé.

Ces mots firent sourire Asha. Une famille, donc. Et il en faisait partie. Il en fut heureux. En fait, il était heureux d'être là, vivant, en bonne santé, entouré de gens bienveillants. Il aurait pu tomber sur des malfrats, qui sait. Plusieurs questions lui vinrent en tête.

- Comment vous avez pu me trouver ? Demanda Asha. Avec les vapeurs toxiques, tout ça...

Alors qu'Asha s'attendait à ce que ce soit Thomas qui lui réponde, c'est Gaëtran qui prit la parole.

- Abel a pu mettre au point un scaphandrier. Ça paye pas de mine, mais ça protège. Une fois par semaine, on organise des expéditions à la Surface, afin de trouver du matériel, d'anciens bâtiments à piller, tout ça. C'est Aimé qui était parti cette fois, et lui qui t'as ramené. Selon Abel, tu étais resté inconscient pendant deux heures avec l'air pollué qui t'entourait. Tes chances de survie étaient quasi nulles. Et pourtant tu es là. Parmi nous.

Après un court moment de réflexion, Asha posa ses yeux sur Aimé, qui avait toujours l'air aussi intéressé par le sol.

- Merci, Aimé. Je veux dire, de m'avoir...

Il fut coupé par ce dernier, qui ne le regarda même pas.

- Ouais, ouais, les beaux discours, tu les gardes pour toi.

Il ajouta, de manière presque inaudible :

- Comme si j'avais besoin des remerciements d'un robot.

Pourtant, ces paroles arrivèrent jusqu'aux oreilles du fameux "robot" et, sans qu'il ne puisse l'expliquer, en fut vexé.

Parmi l'assemblée, la petite fille blonde, Felicity, arrêta de sautiller et fronça les sourcils en se tournant vers Aimé. Elle fit ensuite quelque chose qu'Asha ne comprit pas de premier abord. Les mains de la fille se mirent à bouger très rapidement en faisant des gestes dénués de sens... Sauf pour Morrigan. Celle-ci s'était retournée et regardait attentivement les mains de Felicity. Lorsque cette dernière eut terminé, Morrigan haussa les épaules et fit remarquer d'un ton monocorde :

- Elle trouve qu'Aimé n'est pas très gentil avec Asha.

Aimé souffla de manière excessivement bruyante mais n'ajouta rien.

- Nous n'avons aucune raison d'être gentils avec lui, nous devons rester méfiants.

C'était une voix ferme, celle de Kalypso.

- Mais que veux-tu qu'il fasse ! S'écria Juvénile, il n'est pas armé, et il est désorienté. Je suis persuadée qu'il n'a aucune mauvaise intention.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Des robots comme ça, ça te cache des armes de destruction massive à l'intérieur même de leur structure d'acier, continua Kalypso.

- Chérie, tu trouves vraiment qu'il ressemble aux modèles militaires ? Intervint Gaëtran.

- Ne m'appelle pas comme ça ! Hurla presque l'ancien caporal.

- On le sssait toussss que vous êtes ensssembles, pas la peine de réagir ainsssi, Kalypsssso, déclara Judy.

Asha ne savait plus où se mettre. Encore un peu et ça repartirait en dispute générale. Au milieu de ceux qui débattaient, Morrigan soupirait, Felicity faisant de même. Mériline levait les yeux au ciel et son père en riait presque. Jody était recourbé sur lui même et Aimé, lui, était encore et toujours en tête à tête avec le sol.

C'est Thomas qui s'interposa en faisant de grands gestes de ses bras, frisant le ridicule.

- Oh ! On s'est mis d'accord pour garder Asha, on assume ! Il vous est gré de l'apprécier ou pas, de lui parler ou non, mais gardez ça pour vous, je vous en prie !

Juvénile se rassit, ainsi que Judy, son sourire carnassier habituel sur ses lèvres.

Asha prit alors son courage à deux mains et posa les questions qui lui passèrent par la tête.

- Il y a donc la Surface, invivable. Mais ici, nous sommes sous terre, c'est ça ? Mais d'où viennent ces aménagements ? C'est fait exprès ?

- Je vois ce que tu veux dire, répondit Thomas. Oui, nous vivons sous terre. Avant que les Arbres soient mis au point, et lorsque la Surface commençait à devenir dangereuse, l'Homme a construit des tas de réseaux souterrains. Ici, c'était des anciens bureaux. Nous sommes bien installés, des pièces spacieuses, des couloirs, des portes... L'endroit est plutôt bien conservé. Nous sommes douze, treize maintenant, à vivre ici.

Sous les yeux étonnés d'Asha, Gustav se leva. Les bras croisés, il ajouta :

- Mais nous ne sommes pas seuls. Il y a bien plus d'Erreurs, bannies des Arbres, que tu ne le crois. Beaucoup vivent en groupe, pour survivre, et il n'est pas rare que deux groupes s'affrontent. Quand c'est le cas, c'est une question de vie ou de mort. Décimer un groupe signifie avoir accès à sa planque, ses réserves et ressources. Le danger est partout, ici. Nous avons la chance d'être isolés, d'avoir un scientifique et un ancien Institut pas loin. Une fois seulement, nous avons du livrer bataille. On s'en est sorti, heureusement. Tout ça pour te dire, Asha, que ce n'est pas parce que tu es ici que tu es en sécurité. Le danger vient non seulement des autres Erreurs, mais aussi des A.S.H.A de la police qui nous traquent sans arrêt. Il suffit d'être imprudent pour qu'un drone te repère. À partir de cet instant, t'es un homme mort.

Le silence qui suit est lugubre, et Asha n'était plus si heureux que ça.

- Tu vois Papa, quand tu veux, tu peux dire des choses intelligentes.

Mériline souriait, comme si la mise en garde de son père pour Asha l'importait peu.

- Comment sont ces A.S.H.A ? Ceux qui vous traquent ?

Ils se regardèrent tous pour savoir qui répondrait. À la surprise générale, c'est Aimé qui se leva.

- Ils sont abominables. Sans pitié. Ils sont très grands, et très forts. Ils possèdent des armes à feu qu'ils maîtrisent à la perfection. Ils sont programmés pour tuer à vue. Ils te sentent. Ils sentent ton coeur battre et ils te poursuivent jusqu'à la mort. Et puis, ils sont quasiment indestructibles. Ils patrouillent dans les égouts.

- Pourquoi ne viennent-ils pas jusqu'ici ?

- Cet endroit ne leur est pas accessible.

La voix était celle d'Abel. Il était subitement entré dans la pièce, une blouse sur les épaules et des lunettes de protection sur le front.

- Il y a une échelle qui mène à plusieurs couloirs, plus ou moins hauts. Il y en a un qui communique avec l'Institut, un autre qui rejoint un réseau de souterrains. Enfin, tout en haut, il y a un sas qui mène à la Surface. J'y ai réparé le système de purification d'air, pour pouvoir entrer et sortir sans dangers. En revanche, si tu descends de cette échelle, là tu trouves les Égouts. Mais c'est trop étroit pour les A.S.H.A, trop loin pour qu'ils nous sentent, trop étroit pour qu'ils passent et ça débouche sur un couloir non surveillé. C'est pourquoi pour l'instant, nous n'avons pas eu de problèmes.

- Mais si les A.S.H.A ne patrouillent qu'aux Égouts, et que vous n'y allez pas, ils ne sont pas un danger, alors.

Abel eut un triste sourire.

- Les Égouts sont primordiaux. C'est là que se trouve le Marché Noir. Il y a aussi une ville avec des marchands, même des bars ! Certains y mènent leur vie. Tous les mois nous devons nous y rendre pour faire le plein de rations. L'entrée est relativement bien cachée, et les portes sont blindées. Le tout est de ne pas se faire repérer sur le chemin.

Asha déglutit. Il avait peur. Ces descriptions lui semblaient horribles, et la vie ici sonnait comme un enfer. Et pourtant, douze personnes se tenaient là, devant lui. Ils étaient tous vivants, en bonne santé.

Mais Asha se demandait quand même si sa vie n'aurait pas été plus agréable aux côtés de George.

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant