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Le cliquetis des ciseaux se fit incessant autour de la tête d'Asha, qui n'avait pas bougé de sa chaise depuis une bonne demie-heure. Et puis ce son s'arrêta, laissant place au silence.

- Et voilà, fiston ! J'ai préféré ne pas couper trop court, pour ne pas qu'on se dise "tiens, il vient de couper ses cheveux", alors je t'ai fait un truc à peu près mi-long et assez désordonné, dis moi si ça te convient, termina-t-il en tendant un morceau de miroir à Asha.

Lorsqu'il regarda son reflet, la première chose qui lui vint à l'esprit ne fut pas sa coiffure, mais un souvenir. Celui de la première fois où il s'est vu dans un miroir, juste après sa mise à jour alpha. Le jour où il avait choisi d'agir à la place de subir. Le jour où il s'était offert une identité qui lui était propre. Le jour où il était passé de Vanessa à Asha.

Il s'en était passé des choses depuis ce jour. Et là, tout ce temps venait le frapper d'un coup, car il ne s'était pas vu dans un miroir depuis la dernière fois, avant de se retrouver ici.

Il était le même, et pourtant... Et pourtant ses traits lui paraissaient plus durs. Alors qu'il avait un air enfantin le premier jour, il se trouva plus adulte désormais. Ses yeux lui semblaient plus fatigués, tout comme son sourire qui s'était fané. Il se trouva plus maigre encore qu'auparavant, ce qui lui semblait déraisonnable puisqu'il mangeait à sa faim.

Sa peau, déjà pâle à l'ordinaire, l'était devenue encore plus. Son teint était presque livide. Se voir ainsi l'effraya. Ce n'est qu'après qu'il remarqua ses cheveux. Ils lui arrivaient aux épaules il y a une heure, maintenant ils s'arrêtaient aux oreilles, partant un peu dans tous les sens. Il se demanda si ces cheveux repousseraient, mais il n'en fut pas sûr. Ça lui plaisait, cette coupe, alors il rendit rapidement le miroir à Abel pour éviter de s'attrister plus longtemps sur sa misérable apparence.

- Merci Abel, murmura Asha tristement.

Il se leva, et remarqua qu'Abel lui tendait le petit flacon de coloration. Asha s'en saisit.

- Tiens, essaye tout de suite tant que j'y pense, conseilla le scientifique. T'auras qu'à mettre les lentilles en même temps.

Asha opina et s'en alla avec les deux objets en main. Il se dirigea machinalement vers l'une des deux petites salles d'eau de la structure. Il n'y avait pas de douches ou de baignoires, tout le monde devait se laver au lavabo. Pas de miroir non plus, de décoration. Juste du béton gris et froid, avec des toilettes rudimentaires et les fameux lavabo. Il y avait aussi un seau en plastique, au fond de la pièce, qui servait à laver les vêtements notamment, et Asha décida de le remplir afin de pouvoir verser toute l'eau d'un coup sur son corps.

L'eau était tiède et pas vraiment transparente, mais il n'y avait rien de mieux. Asha prit soin de fermer la porte avec la petite clé rouillée qui était dessus, et se déshabilla. Il eut tout de suite très froid. En frissonnant, il attendit que le seau soit rempli. Il coupa l'eau, se saisit du tube marron et l'ouvrit. Il recueillit une goutte de l'étrange mixture noirâtre sur son doigt, qu'il appliqua, comme prescrit, à la racine de ses cheveux plus courts.

Et puis il se saisit difficilement du seau désormais lourd, et en déversa l'eau presque chaude sur lui, assez doucement pour profiter de l'instant. Ressentir l'eau couler le long de son corps frêle lui fit du bien, et il se surprit à sourire. Oui, cela le surprenait. Car depuis peu il avait l'impression d'etre triste. Depuis qu'Aimé l'ignorait, en fait. Sans qu'il ne puisse expliquer pourquoi, ça lui faisait mal. Une petite douleur qu'il n'arrivait pas à situer physiquement, une douleur invisible et partout à la fois.

Le fil de sa pensée cessa en même temps que l'écoulement de l'eau. Tout de suite, il eut de nouveau froid. Il remarqua qu'il n'avait pas pris de serviette et blâma son oubli. Il se rhabilla alors qu'il était encore trempé et cela n'arrangea pas ses frissons.

Il sortit alors les lentilles de la petite boîte et essaya de comprendre comment les mettre. Délicatement, il parvint à les poser sur ses yeux et la gène passa rapidement.

Il se sentit à la fois changé et identique. Une drôle de sensation, aussi étrange que son mal être.

En se dirigeant vers la chambre d'Aimé, il passa par la sienne pour y prendre un livre. C'était son préféré, l'Écume des Jours. Celui où l'amour était si simple, si pur, si intense et passionnel. Si impossible, pour Asha. Du moins il en était persuadé. Et plus il le lisait, plus il avait envie de vivre la même chose, plus il se demandait s'il ne la vivait pas déjà.

Il se posa sur son matelas dans la chambre d'Aimé. Ce dernier n'avait pas adressé un seul regard à Asha, n'ayant rien dit à son arrivée.

Et puis il se retourna, fronça les sourcils, fit une drôle de moue à la fois déçue et étonnée.

Aimé vit les cheveux désormais bruns d'Asha, ses yeux désormais d'un marron terne, et fixa son visage qui, sans la couleur extraordinaire de ses yeux, paraissait vide. Asha était si pâle, semblait si fragile. Son regard ne brillait même plus, ses joues creuses et ses lèvres asséchées le rendait presque laid, et Aimé se désola de cette vue qui lui était difficile à admettre.

Le pire était sans doute l'absence totale de sourire. Asha sans sourire, c'était comme un violon sans cordes. Triste.

- Tu es pathétique, déclara alors Aimé avant de tourner le dos de nouveau à Asha.

Et ses mots étaient si durs que la douleur d'Asha fut plus vive encore que celle du couteau planté en lui. Il fixa sa page, celle où Colin tombait amoureux. Et puis son regard se déporta vers Aimé, et il souffrait. Il sentit les larmes couler comme si c'était le sang d'une plaie. Une plaie béante et à vif.

Ce qu'il ne savait pas c'est que la douleur d'Aimé était pire encore, car l'on pouvait ajouter celle de la culpabilité. Mais Aimé était trop fier, trop têtu et préférait supporter sa douleur plutôt que de la partager.

Et Aimé entendit les sanglots d'Asha. Il se retourna de nouveau, et bien qu'il le trouvait encore plus pathétique, il eut l'impression qu'il était sur le point de pleurer lui aussi. Cette vue lui était insupportable.

- Arrête de lire si c'est ce qui te fait chialer.

C'en fut trop pour Asha. Il se leva, jeta son livre et se planta devant Aimé, les joues trempées de larmes et sa vision brouillée.

- Je pleure à cause de toi, idiot ! S'écria-t-il.

Asha envoya son poing, avec une certaine force, dans le ventre d'Aimé. Celui-ci se laissa faire et ne broncha pas, regardant Asha dans les yeux.

- Tu m'embrasses et après tu fais comme si je n'existais plus ! Fulmina Asha.

Deuxième coup, pas assez fort pour faire mal physiquement, mais assez puissant pour détruire moralement.

- Toutes ces paroles, ces confessions, tous ces moments, du vent !

Son troisième coup porta vers le coeur d'Aimé, sur lequel il posa ensuite la paume de sa main. Il sentit les palpitations rapides et fortes et cela le calma.

- Arrête de jouer avec moi, je ne suis pas un robot, termina Asha tandis que ses larmes reprenaient de plus belle.

Et il posa son visage contre le torse d'Aimé. Celui-vit les épaules d'Asha se secouer et le poids de la culpabilité fut si lourd qu'il décida de s'en débarrasser.

- J'ai réagi d'une manière horrible, réalisa Aimé. Mais c'est parce que j'ai peur, avoua-t-il tout bas.

Il enserra Asha dans ses bras et fixa le mur qui lui faisait face, hésitant sur ce qu'il s'apprêtait à dire.

- J'ai peur parce que je crois que je suis en train de tomber amoureux.

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant