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— Asha ? Parvint une voix cristalline.

Eve était en pleine discussion avec Ciel, et elle s'était retournée brusquement. En un instant, son visage qui était la définition même de la perfection, s'était déformé sous la surprise. Mais cela ne dura qu'une seconde avant que ses traits ne redeviennent absolument lisses.

— Tu as pu trouver ce que tu cherchais ? Demanda-t-elle le sourire aux lèvres. Je ne peux qu'espérer une réponse positive.

Asha détailla le bureau. Sobre de toute décoration, les murs faits de verre, il n'y avait rien d'accueillant ou de chaleureux. Mais pourquoi le serait-il ?

Son regard se détourna du reste pour se concentrer sur le visage d'Eve.

— Disons que ce que j'ai appris a apporté quelques précisions dans mes recherches.

— Qu'est ce qu'il te manque, alors ?

Et là, Asha ne sut quoi répondre. Il savait ce qu'il lui manquait. Son passé. Ce qui était vraiment arrivé avant d'être réinitialisé, de façon détaillée. La vendeuse d'A.S.H.A avait évoqué une Guerre Robotique ? C'était l'un des seuls indices qu'il possédait.

Mais est ce qu'il voulait vraiment savoir ça ? Est-ce qu'il en avait vraiment besoin ? Il avait été tellement frustré d'apprendre sa réinitialisation qu'il avait voulu à tout prix se prouver que ce n'était pas arrivé.

Et il venait d'obtenir la preuve que, si, c'était bel et bien arrivé ? Qu'est-ce qu'il lui fallait d'autre, désormais, pour prouver qu'il était quand même humain ? En tout cas, connaître ou non ce passé obscur n'aurait certainement aucun impact sur lui, à part peut-être le rassurer — ou l'inverse.

Et puis, est-ce que c'est ce qui comptait le plus ? Non, il y avait des choses plus importantes à faire, aller sauver Aimé, déjà, dont l'appel à l'aide l'avait profondément perturbé. Ça, ça comptait vraiment.

— Asha ? Eve le regardait, l'air inquiète.

Il fut sorti brutalement de ses pensées, et, paniqué, il se décida à lui répondre.

— Non, en fait, il ne me manque rien... Je me suis égaré, désolé. Je pense que j'ai eu ma réponse.

Abel le fixa avec étonnement, bouche-bée. Judy haussa les épaules et eut un faible sourire. Eve elle, restait impassible.

— Je suis heureuse de l'entendre, alors ! Dans ce cas, on ne te retient pas plus longtemps. Si tu veux, je peux m'arranger pour que vous puissiez loger à Sankyo quelques temps ?

— Ce serait super ! Répondit Abel bien qu'elle ne semblait pas s'adresser à lui.

Elle se tourna vers le scientifique et sourit de plus belle.

— C'est noté alors, j'ai une amie qui gère un hôtel correct. Je m'occupe des frais pour vous !

— Mais... Rétorqua Asha, toujours aussi troublé par la gentillesse et l'hospitalité de cette jeune femme. Il était déçu de ne pas se rappeler d'elle, après tout, elle avait peut-être bel et bien été une grande amie de par le passé. Mais il ne le saura jamais, du moins pas pour le moment.

— Ne vous en faites pas, ça rapporte, de gérer un marché noir, vous savez, se justifia-t-elle avec un clin d'œil. Ciel, tu n'as qu'à les accompagner chez Marylin.

— Pas de soucis, répondit-il en souriant.

Ils la saluèrent tous les quatre et sortirent. Asha se sentit soulagé une fois dehors. Son réflexe fut de regarder le ciel, mais aucun drone ne survolait la ruelle. Peut-être qu'il avait juste imaginé cet instant. Pourtant, ça lui avait semblé si réel. La détresse d'Aimé avait été réelle.

Il soupira et espéra qu'Aimé n'était pas en danger immédiat.

***

Aimé poussa un râle de douleur tandis qu'il essayait de se lever. Il avait cette impression affolante de ne plus avoir de genou, tant il était broyé, et cela provoqua en lui une grande panique quand il essaya de se tenir sur sa jambe blessée, sans succès.

— Quel enfoiré, dit-il en brisant le silence.

Il ne savait pas vraiment s'il s'adressait à Caïn ou à lui-même. Ces derniers temps, ses pensées étaient confuses, encombrées, et il préférait se focaliser sur sa douleur pour ressentir quelque chose de plus vrai.

Il était fatigué du blanc, des bols de riz qui devenaient de plus en plus infâmes, du silence assommant. Et il ne savait pas depuis combien de temps ça durait.

Il tomba et jura lorsque sa jambe décida de l'abandonner.

Il resta allongé, sur le dos, et fixait le plafond.

Il leva son bras, fit des gestes futiles dans l'air, comme pour dessiner des formes. Mais il n'avait pas de crayon. S'il en avait un, il ferait des dessins partout, et il se le planterait dans la cuisse pour ressentir.

Sa poitrine se souleva de manière incontrôlée alors qu'il pleurait. A cause du supplice que lui faisait subir sa jambe, à cause de la solitude, à cause du blanc, à cause du silence.

Et le silence était bien au-dessus du reste. Car tout ce qui atteignait ce silence, c'étaient ses propres lamentations, et ça ne semblait pas suffire à le vaincre.

Il attendit, comme il avait pris l'habitude de le faire, accompagné du vide multidimensionnel qui l'entourait.

Il se redressa vivement en entendant un frappement lourd à la porte. Ne s'occupant pas de la douleur lancinante de son genou, il rampa jusqu'à cette maudite porte qui ne s'ouvrait jamais.

— Qui est là ?

— Répondez !

— Répondez...

Sa voix s'éteignit et il n'entendit plus rien.

Il attendit désespérément devant la porte, et plus le temps passait, plus il se persuadait que ce coup était un mauvais tour de son imagination.

Alors ça y est, il entendait ce qui n'existait pas, maintenant ?

Il se mit à rire nerveusement. Il tenta de se lever à nouveau, en y mettant toute sa rage, et il réussit.

Il marcha frénétiquement, en boitant, vers la chaise, seul meuble de la pièce si l'on ne comptait pas le minuscule espace aménagé en guise de toilettes.

Il s'en saisit furieusement, la souleva, et la jeta dans la pièce. Il vit avec satisfaction cette dernière heurter un mur puis retomber lourdement sur le sol, renversée.

Il répéta se geste plusieurs fois, évacuant sa colère et son désespoir, jusqu'à ce que ses bras lui fassent mal et que la chaise, abîmée, laissa entrevoir un gris métallique sous la couche de peinture blanche.

Il ne fut jamais aussi heureux qu'à ce moment-là, de voir autre chose que du blanc.

Il s'allongea et s'endormit, apaisé, libéré de ce feu qui le consumait.

A son réveil, la chaise n'était plus là. 

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant