15

140 22 100
                                    

Le froid, brut et cruel, avait désormais envahi la moindre parcelle du corps d'Asha, et ce dernier ne pût se retenir ses dents de claquer constamment, réaction normale qu'il ne comprenait pas tout à fait.

Se tournant et se retournant, il se lassa rapidement et se leva, action rendue difficile à cause de ses membres engourdis.

Ses pas le guidèrent presque inconsciemment devant la porte de la chambre d'Aimé. Là, il fut face à un dilemne. Comme si ça conscience lui proposait plusieurs issues, des tentations mêlées de bien ou de mauvais. Soit il entrait et allait protester, au risque de réveiller Aimé, soit il allait se recoucher sagement sur le sol terriblement dur et froid. Asha se dit que la première option n'était pas très sympathique, mais après tout, c'est Aimé qui avait commencé à ne pas l'être sur ce coup là.

Alors, mettant de côté ces petites voix qui lui disaient de revenir sur ses pas, il ouvrit presque brutalement la porte. Son premier constat était de voir que la chambre d'Aimé était presque aussi vide que la sienne. Son regard fut tout de suite attiré par une drôle de boîte, au fond de la pièce, d'une forme étrange, presque triangulaire, et d'un noir absolu. Un sourire s'accrocha a ses lèvres quand il vit les quatre lattes dépasser de sous le lit d'Aimé. Aimé qui ne dormait pas. Il était juste assis, son dos plaqué contre le mur gris, les yeux vers le plafond qui ne tardèrent pas à se tourner vers Asha lui-même.

Lorsque le regard émeraude d'Asha croisa le gris d'Aimé, il crut voir, au fond de ses yeux, une amère tristesse. Alors à ce moment, Asha fut prit d'une vague d'empathie et pardonna presque immédiatement le jeune homme. Cependant, cette illusion de sympathie s'envola rapidement lorsque les mots d'Aimé parvinrent aux oreilles d'Asha.

- Qu'est-ce que tu fous là ? Cracha Aimé.

- Je viens récupérer mes lattes, déclara Asha d'un ton aussi froid que possible venant de lui.

- Nan.

- Comment ça "nan" ?

- Bah nan, tu les récupères pas.

- Mais pourquoi, c'est ridicule !

- Tu peux très bien faire sans.

- J'ai froid par terre. J'ai pas de couverture, ajouta Asha alors que ses yeux se posèrent sur la couette plutôt épaisse d'Aimé.

- T'es un robot, tu peux pas avoir froid, décréta Aimé comme si c'était évident. J'ai besoin de tes lattes. Et comme je t'aime pas  et que ça me fait vraiment plaisir de te faire chier j'ai pris les tiennes. Puis t'en as pas besoin. Voilà, fin de l'argumentation.

Asha dut faire un effort presque insurmontable pour ne pas aller cogner son poing contre la joue d'Aimé en ce moment même. Il serra les dents et n'en fit rien, à la fois étonné de son propre comportement et énervé par l'attitude immature d'Aimé.

Il eut soudainement l'idée de répondre à ce comportement immature d'une manière tout aussi immature. Il fit alors demi-tour et repartit rapidement dans sa chambre, entendant brièvement un soupir de victoire de la part d'Aimé. Une fois retourné auprès de son lit improvisé, il ramassa le matelas plutôt léger et le porta jusqu'à la chambre d'Aimé, dont la porte était restée entrouverte. Il la poussa sans ménagement et jeta presque son matelas par terre, un sourire satisfait sur les lèvres. Sa satisfaction grimpa lorsqu'il vit la moue déconfite d'Aimé. Il avait furieusement envie de protester, ça se voyait, mais il n'en fit rien tant la surprise le possédait. Il se contenta de laisser échapper un simple "mais..." en guise de toute réponse.

Asha avait envie de se justifier mais ne s'y abaissa pas tant qu'Aimé ne lui posait pas de questions. Il se contenta de s'allonger sur son matelas, fixant le plafond quelques secondes et fermant rapidement les yeux. Comme il le prévoyait, la voix d'Aimé qui s'était remis de ses émotions s'éleva à nouveau dans l'air.

- Qu'est-ce que tu fous ?

- Tu te répètes, Aimé. Et pour te répondre, je m'apprête a dormir. J'aurais beau avoir froid, au moins je t'embête dans le même temps. Ingénieux, non ? C'est ça ou tu me rends mes lattes.

Comme prévu, une fois de plus, Aimé ne s'abaissa pas à rendre ce qu'il avait volé, et se contenta de s'allonger aussi et de tourner le dos à Asha, qui lui était tout sourire.

Mais rapidement, des frissons le parcoururent de nouveau, désagréables et incessants. Il ne sentait plus ses doigts gelés et ses dents se remirent à claquer d'elles mêmes. Asha entendit, au bout d'un certain temps, Aimé se retourner plusieurs fois dans son lit, comme s'il ne trouvait pas le sommeil. Asha l'entendit râler et marmonner.

- Putain, tu dois être le robot le plus frileux et le plus chiant qui puisse exister, aboya Aimé.

Sur ces mots qui firent sourire Asha, Aimé balança sa couverture qui atterrit directement dans le visage d'Asha qui en rit de plus belle.

Il s'emmitoufla rapidement et soupira d'aise lorsqu'il fut réchauffé. Il murmura un "merci" inaudible et s'endormit.

---

Le lendemain, ce furent les rires et le claquement des pieds contre le sol dur qui réveillèrent Asha. Il avait étonnamment bien dormi malgré la faible épaisseur du matelas. En se relevant, il vit qu'Aimé dormait toujours. Bien qu'il aurait aimé le réveiller pour l'énerver, il se souvint de son geste d'une infinie bonté (du moins il l'était au vu du comportement habituel d'Aimé) la veille et se contenta de sortir en refermant doucement la porte.

Une fois dans le couloir, Asha se souvint brusquement qu'aujourd'hui était un grand jour. Par peur d'être en retard, il courut tout de suite vers le labo d'Abel. À peine arrivé, le scientifique lui lança un morceau de pain qu'il attrapa de justesse.

- Tiens, faudra pas que tu nous fasses de l'hypoglycémie. Ça devrait nous prendre la journée voire plus, étant donné que c'est la première fois que t'y vas, tu pourras prendre ton temps pour tout découvrir.

Enfin, Abel se tourna vers lui et lâcha "Bonjour, au fait !" d'un ton amical.

Tandis qu'Asha lui répondit et s'apprêtait à manger sans répit le pauvre morceau de pain, Abel mit sur son dos un énorme sac.

- Y'a un peu de matériel là dedans, et de quoi ranger quelques trucs si on en ramène. Tu verras, ça va être marrant.

Asha doutait que la définition de "marrant" soit perçue par Abel de la même manière que lui, mais il haussa les épaules et répondit d'un sourire. Abel poussa les portes, et, d'un ton théâtral, hurla presque :

- Asha et moi on part pour une aventure !

Et sur ces mots épiques, ils coururent en riant vers la sortie.

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant