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Asha avait arrêté sa lecture. Son regard se leva et se posa sur son mur, ses yeux étaient vides. Une seule et unique larme coula de son œil droit. 

Le silence dura plusieurs secondes. Minutes. Heures. Aimé n'osa pas avoué qu'il avait lu par dessus l'épaule d'Asha. Il ne savait pas quoi dire. Il fixait Asha et tenta d'y déceler une émotion. Il ne vit rien. Asha était indéchiffrable. 

Ce dernier, après un long moment sans bouger, ferma lentement le carnet. Il tourna son visage vers Aimé. 

- Aimé... Je suis un humain... Je suis un humain dans un corps de robot... Enfin, une conscience humaine tout au moins. Je ne sais pas quoi dire ou penser.

- Alors ne pense pas et ne dis rien, chuchota Aimé. 

Et Asha craqua. Ses yeux furent inondés de larmes en moins d'une seconde et il pleura. 

- C'était pour ça, les émotions, sanglota-t-il. 

Il hoqueta entre les mots. Aimé ne savait pas comment réagir, et, paniqué, il posa fermement ses mains sur les épaules d'Asha. 

- Evidemment que c'était ça, tas de ferrailles. Je te l'avais dit que t'étais plus humain que moi. 

Asha lâcha un léger rire en entendant l'insulte d'Aimé et il continua de pleurer sans savoir s'arrêter. 

Lorsqu'il se calma, il reprit la parole. 

- Ça fait beaucoup à encaisser tout de même... Et puis il y a encore tant de choses que je ne comprends pas... Pourquoi mon premier souvenir est d'être dans la maison de George, celui-ci m'expliquant ce que je devais faire pour lui ? Pourquoi j'étais un squelette métallique, pourquoi je ne me suis pas révolté ? 

- Les réponses viendront en lisant la suite je suppose... Il est pas tout fin ce bouquin. 

En entendant les mots d'Aimé, la main d'Asha se dirigea vers la couverture du carnet. Sa main la souleva légèrement mais une autre main, plus grande et dont la poigne fut douloureuse, se posa sur la sienne. 

- Hé, tu crois pas que t'as eu ta dose de révélations pour aujourd'hui ? Regarde dans quel état ces quelques lignes t'ont foutu. J'veux pas te voir chialer encore une fois, t'es moche quand tu chiales. 

Asha ne se sentit même pas offensé, et trouva les paroles d'Aimé justes. C'est vrai, il en avait eu assez pour le moment. 

Il soupira en repensant à ce qu'il venait d'apprendre. Il y avait un Abel, nommé sur le papier. Asha était presque sûr qu'il s'agissait du Abel qu'il connaissait. Cette pensée l'émeut. Abel devait probablement savoir quelque chose sur le projet et il pourrait l'éclairer. Faut-il encore que ce soit le bon Abel. 

Aimé, voyant qu'Asha était plongé dans ses pensées, le tira de ces dernières en le poussant légèrement. 

- Arrête de te torturer avec tout ça. Moi je pense qu'il n'y a qu'une seule chose à retenir. T'es humain, tu mérites d'être traité et jugé comme tel et plus comme un vulgaire androïde à la conscience limitée. Et c'est moi le premier qui doit en tirer une leçon. 

Asha allait dire quelque chose mais Aimé le devança. 

- Tu sais, je voudrais encore m'excuser pour... 

- Oh non, ne t'excuse plus. Une fois suffit pour te pardonner. 

Asha aurait voulu ajouter qu'il était heureux que leur relation se soit améliorée. Mais à la place, il ne fit que sourire à Aimé. Qui le lui rendit. 

- Allez, viens, j'ai quelque chose à te montrer, tête de fer. 

Aimé se leva et sortit de la chambre d'Asha pour entrer dans la sienne. Le robot qui n'en était qu'à moitié un le suivit, un sourire toujours collé aux lèvres. Il se demanda ce que le jeune homme allait lui faire voir. 

Une fois dans l'autre chambre, il vit Aimé l'attendre debout devant son lit, un sourire en coin. 

- Je n'ai pas piqué tes lattes pour rien, tu sais. 

Avec une rapidité déconcertante, il se pencha vers le dessous de son lit et ramassa un paquet emballé d'un drap. Il en sortit d'abord ce qu'il semblait être deux épées au bout arrondi. 

Il en lança une vers Asha qui l'attrapa au vol avec une agilité douteuse. 

- En garde, Chevalier Asha ! S'écria Aimé avec une un air méchant dont le sourire trahissait le sérieux.

Et il s'avança vers Asha qui ne savait visiblement pas quoi faire. Il planta son épée dans le vide entre le bras et le flanc d'Asha qui en fut étonné. 

- T'es mort, le robot, rit Aimé, l'air victorieux. 

- Techniquement je...

- Chut, gâche pas ma victoire. 

Asha était confus. Il allait rajouter quelque chose mais, une fois de plus, Aimé lui coupa la parole avant qu'il ne la prenne. 

- Bon, rassure toi, je n'ai pas gâché deux lattes pour faire des jouets inutiles. J'ai cru comprendre que tu allais être entraîné. Et si Kalypso t'enseigneras le maniement des armes à feux, moi je t'apprendrai à manier une épée comme si c'était le prolongement même de ton bras. Crois moi, même si tu n'as pas l'avantage de pouvoir attaquer à distance, tu as celui de pouvoir surprendre ton ennemi et le défoncer en moins de deux. 

- Je te... Remercie ? 

- Pas de quoi, répondit machinalement Aimé. 

- Et t'as fait quoi de la troisième latte ? 

Un sourire malicieux et un brin d'impatience se lisait sur le visage d'Aimé. Il sorti du paquet un drôle d'objet. Après quelques secondes de réflexion, Asha reconnu un archet pour violon. 

- Si tu penses que je suis un bon professeur, je veux bien t'apprendre à jouer du violon... Je t'ai fait ton propre archet, au moins si tu t'énerves parce que t'arrives pas à jouer un concerto c'est pas le mien que tu casseras. Bon, à la base je devais prendre des cheveux de Felicity pour faire la corde, ils sont super longs et robustes mais je me suis fait agressé par Morrigan quand j'ai tenté le coup, alors j'ai juste chipé des trucs à Abel qui feront l'affaire. Le son sera pas super mais...

- Merci beaucoup Aimé ! Je pouvais rien rêver de mieux que d'apprendre à jouer d'un instrument. 

Asha ne put s'empêcher de prendre rapidement Aimé dans ses bras. 

- Attends, c'est pas fini, déclara Aimé en se dégageant doucement de l'étreinte. Il restait un peu de bois de la latte. Bon, le bois artificiel même si c'est souple c'est assez dur à tailler, j'ai fait ce que j'ai pu, mais tiens. 

Il lui tendit une toute petite figurine d'animal, qu'Asha ne connaissait pas. Les seuls animaux existants encore sur les Arbres étaient les chiens, les chats, les chevaux, les vaches, les cochons, les poulets, et quelques oiseaux. Ce que tenait Asha dans la main ne ressemblait à aucun d'entre eux. 

- C'est un renard. Je n'en ai jamais vu de mes propres yeux, mais c'est mignon, c'est roux, et ils donnent envie de les protéger. Comme toi, ajouta-t-il en rougissant légèrement et en détournant le regard. 

- Merci, je suis content que ces lattes puissent avoir une belle seconde vie. Je le garderai précieusement, promis. 

- Derien, Asha, termina Aimé avec sincérité. 

Ils se regardèrent dans les yeux un court instant et ni l'un ni l'autre ne vit la haine contenue dans leurs regards du passé. 

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant