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Le hall de l'hôtel ressemblait à la ville. Il était étroit, éclairé succinctement par de vieux néons bleuâtres au plafond en béton froid. Les murs délabrés étaient décorés de fissures et de traces d'humidité. Il y avait une odeur désagréable qui flottait dans l'air, et le clapotis de l'eau qui s'égouttait d'un tuyau percé. 

En d'autres termes, le lieu était bien moins luxueux que la suite prêtée par Caïn. Cela fit soupirer Judy qui repensa au matelas le plus confortable qu'elle n'avait jamais essayé et à la nourriture excellente qu'elle avait pu déguster là-bas. Mais elle se rappela que c'est pour la bonne cause qu'ils avaient précipitamment quitté l'appartement et se dit que ça ne pouvait pas être pire que dans l'abri. 

Abel s'avança timidement vers ce qui semblait être l'accueil, se rapprochant d'une femme ronde. Elle semblait avoir la trentaine, avait les cheveux argentés coupés en un carré asymétrique et portait une robe bleu nuit parsemée de pois blancs. Elle était bien moins atypique que les autres habitants de Sankyo et cela rassura quelque peu le groupe. 

- Bonsoir, annonça-t-elle d'un ton blasé. J'ai une chambre de trois lits si c'est ce que vous cherchez. 

- Eh bien, oui, ça me semble parfait, répondit Abel en posant ses bras sur le comptoir gris. 

Sans un sourire, elle se retourna pour attraper une carte magnétique. Un système vraiment dépassé en terme de verrouillage de portes, mais le propriétaire ne semblait pas assez riche pour remplacer quoi que ce soit dans le bâtiment. 

- Chambre 337, troisième étage, couloir de droite, dicta-t-elle d'une voix monotone. 

Abel la remercia avec un sourire mais ne bougea pas, sous le regard interrogateur de ses amis. 

- Et... Commença-t-il, on vous paye avec ?...

- Oh, je sais que vous venez d'à côté, justifia-t-elle avec un regard méprisant vers les habits sûrement excessivement sobres de ses clients. L'argent que vous avez ne m'intéresse pas. Ici, on paye en dollens avec ça, termina-t-elle en montrant du doigt son bracelet que personne n'avait remarqué. 

C'était un bracelet noir, très simple, avec un écran tactile comme si c'était une montre. Sur l'écran était affiché un solde : 124 dollens. Ils devinèrent que le bracelet était relié à un compte bancaire et qu'ils s'en servaient pour payer. 

- Mais si vous restez ici, je vous conseille d'aller rapidement en chercher un, ajouta-t-elle en haussant un sourcil. Ce n'est pas tout le monde qui vous fera un prix d'ami, termina-t-elle avec un air hautain. 

Abel la remercia une fois et les deux autres firent de même. Elle soupira et ne les regardait déjà plus lorsqu'ils partirent vers les escaliers. 

Sans un mot, ils gravirent les marches jusqu'au troisième étage et cherchèrent ensuite, dans un couloir froid, humide et sombre, la porte au numéro 337. Ils se doutèrent que l'état de la chambre ne serait pas meilleur que le reste de l'infrastructure. Mais ils ne pouvaient pas refuser un hébergement gratuit. Abel planifiait déjà d'aller chercher ces fameux bracelets avant même d'ouvrir la porte devant laquelle ils se trouvaient. 

Il présenta la carte et après que le voyant se soit teinté de vert, il poussa la porte. 

Ils entrèrent à tour de rôle et une forte odeur de tabac les assaillit. Les précédents locataires semblaient être parti il y a à peine un quart d'heure. 

Ils s'estimèrent chanceux de trouver une fenêtre dans cette chambre étroite. En revanche, il y faisait assez froid et il n'y avait aucun radiateur pour y remédier. La salle de bain se composait d'une pièce de deux mètres carrés tout au plus, et l'un des matelas était posé à même le sol puisqu'un des lits semblait avoir perdu ses lattes. Cela raviva des souvenirs à Asha, très joyeux comparés à sa situation actuelle. 

- Je prends celui qui est par terre, déclara tristement Asha. 

Personne n'objecta. Abel aurait bien proposé de prendre cette place mais il savait d'avance qu'Asha refuserait. 

De toute manière, la nuit n'était pas encore tombée. Il devait être quoi, seize heures tout au plus ? Abel réfléchit à comment ils mangeraient. Ils avaient récupéré des conserves, certes, mais n'avaient aucun endroit où les cuisiner. 

- Est ce que je pourrai aller faire un tour ? Demanda soudainement Asha. 

- Quoi, seul ? Rétorqua Abel, inquiet. 

- Oui, je pense que j'ai besoin d'un peu de solitude. Je vais repérer un peu ce qu'il y a dans cette ville. Je reviendrai avant que la nuit ne tombe, promis. 

Abel et Judy se regardèrent, l'un inquiet, l'autre confiante. 

- Allez, laisse le respirer ton petit protégé, souffla-t-elle. 

- On a déjà perdu Aimé, je ne veux pas...

- C'est bon, Abel, s'il te plaît, demanda Asha, peiné. Je reviendrai. Promis.

Abel soupira. Il croisa les bras, porta son regard vers l'unique fenêtre. Il faisait noir dehors, ce qui les déstabilisait tous les trois. Asha ne s'éloignerait sûrement pas de l'avenue de toute manière. 

- Très bien, tu peux sortir un peu. Mais n'oublie pas de rentrer, s'inquiéta Abel. 

Asha hocha la tête et accorda un sourire chaleureux au scientifique. Il avait juste besoin de prendre un peu l'air. Il sortit de la chambre sans rien dire, juste en lançant un dernier regard tendre à celui qui était supposé être son frère. 

Il dévala les escaliers montés plus tôt et se retrouva dans le même hall lugubre. La femme n'y était plus. Asha se dit qu'il se passerait d'elle pour de quelconques indications et se débrouillerait donc seul. De toute manière il ne comptait pas aller bien loin. 

Il sortit donc et fut de nouveau ébloui par cette multitude de néons. Mais d'un autre côté, il fut fasciné par l'harmonie colorée que cela produisait. A vrai dire il appréciait énormément l'atmosphère de cette ville. Il sourit, inspira et entreprit de marcher en suivant une sorte de trottoir. Il n'était pas concrètement défini mais les passant évitaient le milieu de la route. Certaines voitures ne volaient peut être pas, après tout. 

Il s'arrêta un instant devant une vitrine de vêtement. C'était très loin de ce qu'il portait actuellement et ça se remarquait. Il attirait l'attention et il n'aimait pas vraiment ça. Et si quelqu'un découvrait sa réelle identité ? 

Il continua sa route sous quelques regards curieux et s'arrêta de nouveau en se rendant compte que c'était la première fois qu'il était seul. Ou du moins indépendant. Bien sûr, il allait bientôt retourner auprès de ses amis mais il pouvait décider par lui-même d'où il irait et de ce qu'il ferait. Il adorait déjà ce sentiment, il en voulait plus. 

Il accéléra le pas avec un nouveau sourire collé sur les lèvres. Un sourire en coin, un sourire de satisfaction. 

Sans vraiment sans rendre compte, il tourna dans une allée plus petite. Il ne fit pas attention aux enseignes lumineuses qui lui auraient indiqué l'endroit particulier où il se trouvait. 

Puis très rapidement, il sentit son bras droit être saisi puis tiré. Il n'eut pas le temps de réagir, il était déjà trop tard. 

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant