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- Alors... On est supposé être arrivés ? Demanda Judy.

Devant eux se dressait une arche rectiligne, en haut de laquelle était fixé un écran. Six lettres défilaient régulièrement : S A N K Y O.

- Je pense, déduisit Abel. Étrange qu'il n'y ait pas de douane ou autre...

- On ne va pas s'en plaindre, décréta Asha en passant sous l'arche. 

Une fois franchie, un paysage totalement différent se dévoila sous leurs yeux. Phénomène étrange qu'Abel comprit immédiatement. 

- Je pense qu'une sorte de barrière virtuelle sépare les deux villes et change l'apparence de ce qui se trouve de l'autre côté. Sûrement pour éviter une certaine pollution visuelle... fit-il remarquer en regardant ce qui l'entourait. 

Sankyo semblait être l'opposé de ce qui était conforme dans les Arbres. Tout était plus brouillon, de l'architecture des bâtiments au style vestimentaire des passants, qui accumulaient les couleurs comme les lumières de la ville. Le ciel était sombre, et les rues étaient éclairées de néons. Des néons partout, sur les parois des immeubles, sur les multiples enseignes indéchiffrables... Du bleu, du violet, du rouge, du vert, en passant par le jaune et l'indigo. C'était une cacophonie de lumières et de gens, qui grouillaient partout, bousculant le petit groupe qui s'était arrêté. 

Ils restaient figé devant la singularité de leur environnement. 

- Je ne m'attendais pas à ça, déclara Asha. 

Les deux autres restaient sans voix. Il n'imaginaient pas qu'un tel endroit pouvait prospérer dans les Arbres. Ça leur semblait incompréhensible. Même Slumtown leur paraissait moins débauché. 

En effet, les tenues qu'arboraient les citoyens étaient toutes plus extravagantes que les autres. Une jeune femme traversait la rue devant eux en arborant un t-shirt en plastique transparent et une longue jupes à franges couleur chrome. Sa chevelure rose et ébouriffée, ses cils verts fluo assortis à son rouge à lèvre ne passaient pas inaperçus. Enfin, si, sa tenue passait totalement inaperçue parmi le florilège de styles que les trois jeunes gens pouvaient entrapercevoir. 

Ils levèrent la tête pour croiser du regard un véhicule volant. Non, il n'y en avait pas qu'un. C'est comme si la route était dans les airs, au dessus d'eux, mais invisible. Les voitures éclairaient de leurs phares le sol humide de la précédente pluie. 

Ils sortirent de leur transe lorsqu'ils entendirent les chuchotements des passants.

- Mate un peu ça, encore des coincés d'à côté venus se paumer ici, fit remarquer peu discrètement un homme portant une crête iroquoise blanche à son compagnon marchant sur des talons compensés de vingt centimètres. 

Ils ricanèrent et partirent rapidement en direction de la ville. Cela motiva Asha, Abel et Judy à bouger eux aussi. Il allèrent tout droit, se doutant que cela les rapprocherait du coeur de la ville. Ils en étaient certainement bien loin, la ville semblait gigantesque. 

Ils se sentirent écrasés par les gratte-ciels resserrés, et ils eurent une sensation d'impuissance désagréable, provoquée par la peur de l'inconnu et l'absence d'un but précis. La ville les englobait, les dévorait et ils se retrouvèrent désorientés, errant sans but dans les rues sombrement éclairées, se pressant de trouver un endroit plus rassurant. 

Ils atterrirent dans une rue plus grande que les autres, plus large, et c'est comme s'ils remontaient à la surface de l'eau après avoir suffoqué jusqu'à la mort. Ils soupirèrent de soulagement à l'unisson.  

- Bon... je n'ai absolument aucune idée de ce que nous devons chercher...  déplora Abel. 

Une femme passa près d'eux.

- Peu importe ce que vous cherchez, susurra-t-elle, vous le trouverez au marché noir. 

Et elle les dépassa pour reprendre sa route le long de l'avenue. Son trench coat métallisé flottait derrière elle, et disparut dans la foule après quelques secondes. 

- Ok, affirma Abel. Maintenant nous avons une idée de ce que nous devons chercher. 

- Je suis désolée, Abel, mais "le marché noir" ça ne me donne pas très envie d'y faire un tour, déglutit Judy. 

Asha restait muet. Il avait l'étrange sentiment qu'il devait se rendre à ce fameux marché noir. Comme s'il y était irrésistiblement attiré. Ce qui lui sembla extrêmement déroutant. 

- Nous devons y aller. Nous trouverons forcément quelque chose, déclara-t-il, sûr de lui. 

- Je pense que nous pourrions même trouver des choses qui nous ajouteraient des problèmes... 

- Est-ce si grave ? Nous sommes là pour une durée indéterminée. Plus nous découvrons des informations sur cet endroit, sur les Arbres en général... Mieux c'est, non ? 

- Vu comme ça... Admit Abel. 

Judy restait contrariée et peu enthousiaste. 

- Je pense que nous devrions d'abord nous soucier de l'endroit où nous dormirons ce soir, décréta-t-elle en regardant aux alentours. Il y a sûrement des hôtels dans le coin mais difficile de les repérer...

Elle soupira. Mais ses amis l'approuvèrent. 

- Tu as raison, on va se mettre à chercher, répondit Abel. 

Il fixa d'abord un passant et lorsqu'il vit le regard méprisant de ce dernier pour lui, il décida de ne pas demander son chemin aux autres. 

Il leva les yeux pour voir des centaines d'enseignes lumineuses, clignotant dans l'obscurité de la nuit artificielle. Il n'y avait pas d'étoiles dans le ciel, mais toutes ces lulmères suffisaient à les remplacer. Par ailleurs, il était presque impossible de déchiffrer les écriteaux des nombreux panneaux. De multiples langues étaient mélangées les unes aux autres, pour en former une seule qui semblait plutôt aléatoire et désordonnée. Abel pouvait discerner les restaurants et les boutiques à cause de leur vitrine ou stand, mais comment repérer un hôtel dans cette horde de bâtiments ? 

- Je pense qu'il y en a un, là-bas, annonça Asha en pointant du doigt un immeuble situé à une centaine de mètres. 

- Comment tu le sais ? S'étonna Abel. 

- C'est simplement marqué dessus... décréta l'androïde.

Il entama son chemin jusqu'au fameux hôtel suivi des deux autres. 

- Tu arrives à déchiffrer cette ébauche de langage ? Demanda le scientifique.

- Oh, tu sais, après avoir lu les vieux dictionnaires anglo-français, anglo-allemand, anglo-japonais et autres qui traînaient dans ton labo, j'arrive à déchiffrer en partie ce qui est marqué. 

Abel se demanda comment Asha avait pu retenir les milliers de caractère japonais, ou même pu apprendre des langages seulement après la lecture de dictionnaires, puis il se rappela qu'Asha était avant tout un robot avec des capacités cognitives exceptionnelles. Sa mémoire fonctionnait comme celle d'un ordinateur. 

Il en fut jaloux quelques instants et songea qu'avec quelques implants, il pourrait lui aussi acquérir cette mémoire incroyable. Mais il fut sorti de ses pensées par la voix d'Asha, déterminée. 

- Bien, allons-y !

Personne ne savait vraiment s'ils se dirigeaient simplement vers l'hôtel, ou vers une nouvelle série de péripéties loin d'être tranquilles. Leurs questionnements furent accompagnés des reflets de lumières bleutées dans les flaques d'eau qui se floutaient lors de leur passage. Alors que les trois jeunes gens s'engouffrèrent dans le bâtiment qui leur servirait d'hôtel, un engin volant s'éleva soudainement dans les airs, s'éloignant à grande vitesse de ces lumières trop vives. 

Un sourire se forma sur les lèvres de Caïn. Tout cela promettait d'être bien plus qu'intéressant. 

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant