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De par son nom, le marché noir aurait pu être imaginé comme un lieu glauque, où s'effectueraient des échanges douteux, du trafic de marchandises immorales en plus d'être illégales, mais il n'en était rien, ou peu. En vérité, c'était plutôt un lieu où tous ceux qui avaient quelque chose à vendre le vendait, sans avoir besoin d'établir une boutique, d'acquérir des licences en tout genre, ou d'avoir peur de faire faillite. Car oui, tout ce que vous pourriez chercher, vous le trouverez au marché noir.

Alors oui, quand il s'agissait de trouver des réponses à une question très vague, c'était une autre affaire. Et c'est pourquoi Asha espérait tomber sur la perle rare, la révélation, car on lui avait garanti qu'il trouverait sa réponse. C'était peut-être immature, naïf d'espérer trouver ce genre d'information ici. Mais quel genre d'information, au juste ?

Ils passèrent devant des étalages, des étalages et encore des étalages. Pour beaucoup, montrant des pièces mécaniques, des objets à priori inutilisables qui pourraient se révéler être aussi précieux que de l'or pour qui saura quoi en faire. Il y avait aussi beaucoup de livres, et ce qu'Asha reconnaissait comme étant des CDs, de toutes tailles. Tous ces objets du passé, des objets culturels bannis dans les Arbres. Ils avaient certainement une valeur inestimable et étaient exposés comme des pièces de collection d'un musée.

Et puis après venaient les stands un peu à part. Des bombes de peintures, des jouets, de vieilles consoles de jeux vidéo... Et puis, dans une partie reculée du marché, plus resserrée, moins éclairée, il y avait quelques tables sur lesquelles étaient disposées des armes, de l'alcool, de la drogue sous des formes plus originales les unes que les autres.

Asha soupira, las. Ils avaient fait le tour de l'endroit et n'avaient rien trouvé.

— C'est peine perdue, annonça-t-il aux deux autres. Il y a tout ici, sauf ce que nous cherchons.

Il remarqua que Judy s'était éloignée d'eux pour s'aventurer plus loin encore. Elle se retourna, fit signe aux deux jeunes hommes de la suivre.

Abel haussa les épaules, lui aussi plus ennuyé qu'intrigué, mais s'exécuta, accompagné d'Asha.

C'était une boutique qui faisait l'angle de l'immense pièce. Cachée dans l'ombre, on n'y voyait pas grand-chose si ce n'est de drôles de reflets métalliques.

Puis, une fois leur regard habitué à l'obscurité, ils purent discerner dans la pénombre des formes humanoïdes. Presque de quoi s'inquiéter, à première vue : du trafic d'humains ?

Et lorsqu'ils virent la réalité, ils furent rassurés. Mais pas Asha, pour qui cette réalité ne semblait pas moins dure à accepter que ce qu'ils avaient imaginé.

C'étaient des A.S.H.A. Des versions différentes, des plus anciens aux plus modernes : quelques-uns n'étaient que des squelettes comme Asha l'avait été avant sa mise à jour alpha. D'autres possédaient déjà une apparence humaine, et, entre deux, certains avaient une ébauche de corps, ou des squelettes plus développés.

Ça n'en restait pas moins glauque.

Puis, parmi ces silhouettes amorphes, apparaît une autre, qui se rapproche rapidement et qui apparaît à la lumière.

C'était une femme d'un certain âge. Elle était maigre, ses cheveux étaient ternes, ses lèvres fines pinçaient une cigarette dont émanait des volutes de fumée qui s'évanouissaient dans l'air. Elle s'en saisit, souffla la fumée sur le côté et se tourna de nouveaux vers ses potentiels clients. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres et elle les accueillit d'une voix plutôt grave mais, d'une certaine façon, sensuelle.

— Alors ? Qu'est ce qu'on est venu chercher ? Vous devez avoir des exigences bien spécifiques, puisque vous vous retrouvez là, devant moi.

— L'exigence bien spécifique, c'est lui, annonça Abel en montrant Asha.

Elle regarda l'androïde et haussa un sourcil.

— Je n'ai pas de temps à perdre, vous savez.

— Spécimen A-0037, répondit Asha.

Ce dernier commençait à envisager ce qui avait pu se passer entre le moment où il fut désactivé par Caïn, puis récupéré par George. Et ça ne lui plaisait pas du tout. Alors il espérait que cette « femme d'affaire » ne fasse aucun lien logique entre son numéro de série et l'une de ses vente.

— A-0037, bien sûr que je m'en souviens, ma toute première affaire, déclara-t-elle. Et le début d'un business réussi. Attendez, c'est vous, le spécimen ?

Asha serra les poings et la mâchoire. Il avait envie de hurler, de courir et de sortir. Il n'était pas spécialement en colère, mais en apprendre tant sur son passé, et en même temps ne pas en connaître les détails provoquaient en lui des sensations confuses et assez puissantes.

— Je veux tous les détails, exigea Asha en posant ses mains sur la table qui faisait office de comptoir.

— C'est que, je ne fais rien gratuitement...

— S'il vous plaît, supplia l'androïde d'une voix teintée de désespoir.

— Je suppose que je vous dois au moins ça, finit par dire la vendeuse. Ce n'est pas bien compliqué. Auparavant, j'étais dans la vente, mais du bon côté, si on peut dire ça. J'avais été embauchée dans l'un des premiers points de vente d'A.S.H.A. J'ai été virée pour des raisons qui ne vous concernent pas, et puis, après la Guerre Robotique, le nombre d'A.S.H.A jetés à la casse devenait impressionnant. Et moi, j'y voyais une sacrée opportunité. Alors je suis arrivée ici, avec quelques corps que j'avais récupéré, dont le célèbre spécimen A-0037. J'ai dû apprendre les bases de la mécaniques pour tous vous remettre en état, et un jour mon premier client s'est pointé, un certain George. Il voulait un A.S.H.A, pas trop cher, un modèle assez ancien, moins sophistiqué pour pouvoir facilement en faire ce qu'il voulait. Et puis l'affaire s'est conclue. Je t'ai vendu pour cinq cents crédits à ce type et la suite, c'est toi qui la connais.

Tout devenait flou autour d'Asha. Il pencha la tête vers le sol et la secoua rapidement, refusant la réalité. Donc Caïn avait dit la vérité. Il avait bien été abandonné, bien été réinitialisé, et il avait été vendu pour trois fois rien.

Mais où était Eve dans l'histoire ?

Pourquoi ce qu'il venait d'apprendre, finalement, n'était pas si satisfaisant que cela ? C'était d'ailleurs plus dégradant qu'autre chose.

Il se ressaisit, lança un regard assuré à Abel et Judy.

Les dernières réponses qu'il voulait, celles qui couvriraient cette partie de son passé toujours obscure se trouvaient très certainement ici.

Et son regard se tourna vers le bureau d'Eve. 

AshaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant