Chapitre 3

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Melvin

Il est vingt deux heures passées quand j'arrive enfin devant le portail de chez moi. Ici, chez moi. C'est ce que je me répète tout le temps dès que je passe la porte de la grande grille. C'est chez moi à partir du moment où je commence à m'engager dans la longue allée de terre, dont les contours sont deux rangées de cailloux entassés les uns sur les autres. J'aime bien shooter dedans quand je me fais chier. Ca énerve mon frère. Chez moi, c'est derrière la porte de l'énorme maison de béton blanc dont la façade sobre est éclairée par les Lumières extérieures du jardin. C'est là ou j'habite : là où je dors, où je mange. Là où j'étouffe, aussi. C'est une maison magnifique, une villa hors de prix, des baies vitrées à tous les étages, une piscine extérieure à l'arrière, un grand jardin impeccable, entretenu par un jardinier qui vient toutes les semaines. C'est un endroit où n'importe qui voudrait habiter, parce qui ne voudrait pas vivre dans un palace comme le mien ? 

Mes parents sont pétés de tunes. Ils bossent beaucoup, et sont toujours à l'étranger. Je les ai vu.. cinq ou six fois en six mois. Ils sont toujours aux petits soin avec leurs gosses, moi compris. Mais en fait, quoi que l'on puisse dire de notre vie de bourges, quoi que l'on puisse penser des soirées de malade qu'on organise une fois par mois, quoi que l'on puisse dire de ma putain de terrasse sur le toit, moi, je déteste cet endroit. Je le hais tout autant que ceux qui y habitent en ma compagnie, à savoir mon frère. Mon père est un homme plutôt calme, mais souvent imbu de lui même, qui aime s'extasier sur chaque petite richesse qu'il possède, même s'il n'a pas la moindre idée de leur provenance ni de leur prix. Ma mère quant à elle, est une femme distinguée que je vois rarement, pour ne pas dire jamais, et avec qui je n'ai aucun point commun, mis à part la couleur des yeux.

 Comme ils sont tous les deux très souvent absents, ma mère bien plus que mon père, c'est mon frère qui a l'habitude de faire la loi à la maison. S'il ressemble comme deux gouttes d'eaux à mon paternel mais en plus jeune, il en reste bien plus exécrable, surtout avec moi. Il me déteste, et je le déteste aussi. Point. Alors nous évitons toujours de nous croiser dans la même pièce plus de cinq minutes. Je ne sais pas trop quoi penser de Dorian, en fait. C'est mon frère, mon grand frère. Parfois, cette situation me rend malade. Il me vient de temps à autre l'idée de me dire que je tiens à lui, parce que c'est mon frère, mais quand je me rappelle que ce n'est pas réciproque, que je ne suis rien d'autre qu'un rejeton à ses yeux, la haine refait surface. Est-ce seulement de la haine ?

Je suis immobile devant la grande allée. Ma bouteille pend au bout de mon bras, que je tiens dangereusement entre mon pouce et mon index. Peut être ne devrais-je pas rentrer. Partir comme cette fille là.. Allya. Me faire la malle et m'enfuir sur la route. Mais je ne le veux pas, pas tout de suite. 

Après avoir porté une dernière fois la bouteille à mes lèvres, je la pose délicatement près des poubelles, savoure ma gorgée d'alcool encore dans ma bouche, et l'avale en grimaçant. Comme chaque soir depuis des semaines, le salon semble occupé et l'étage du haut est allumé. Dieu sait combien de couples sont encore en train de coucher dans ma chambre. Peut être aucun ce soir, avec chance. Dorian a ramené ses potes, c'est certain. Avec un soupir, je pousse aisément l'énorme porte de bois dont la poignée est décorée de toutes sortes de motifs floraux que ma mère a elle même choisi.

 Je pénètre dans le hall plongé dans le noir. Une forte musique qui résonne contre les murs et me casse déjà les oreilles provient du salon, accompagnée d'une odeur de beuh que je réussis à sentir depuis le seuil. J'ai juste besoin de ça avant d'aller dormir, en fait. De la beuh, du coca. Des chips, s'il en reste. Comme je m'y attendais, Dorian est attablé avec ses potes autour de la petite table basse du salon et d'un jeu de cartes. Des canettes de soda et des bouteilles d'alcools sont rassemblées sur le sol. L'une des canettes s'est fait la malle et a roulé loin du canapé. Je shoote dedans et elle vole par-dessus leur têtes en attirant leur attention. Mon frère reste concentré sur les cartes qu'il est en train de mélanger.

1. Melvin Meyer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant