1. Melvin Meyer

Chapitre 43-1

Drace

Pour une fois, maman n'a pas rouspété en me voyant franchir le seuil de la porte, vêtu de mon blouson de cuir noir. Je ne porte jamais de vêtements aussi sombres. Je ne suis jamais apprêté de cette façon. Depuis que nous sommes à Vallen, quelque chose m'a changé. Quelqu'un.

Je devais rejoindre des potes. En général, elle est têtue, mais ces derniers temps, elle est plus calme. Parano comme je suis, je trouve ça étrange, voir suspect. Ou alors elle s'est vraiment mise dans le crâne que j'étais assez grand pour me gérer maintenant et ça, c'est pour ma veine.

Je me dirige vers l'arrêt de bus éclairé par un lampadaire. Au loin, je ne distingue qu'une seule silhouette encapuchonnée, qui est adossée contre la vitre. Cette silhouette me fait penser à Melvin. Melvin.

Les mots, prononcés de sa propre bouche lors de la soirée improvisée à Vallen, me restent au travers je la gorge.

Je serai toujours là.

C'était juste avant que ma charmante soeur se pointe. Lui au moins, sait ce que je ressens et n'essaie pas de me foutre encore plus au fond du trou. Passant outre la silhouette qui reste parfaitement immobile, même quand j'arrive près d'elle, je me pose sur le banc et pianote sur l'écran de mon portable.

- Bonsoir Drace.

Je ne fais que lever les yeux sur mon portable d'un centimètre, et il me faut quelques secondes pour me rendre compte que c'est cette silhouette qui m'a parlé. Une voix de fille que je connais...

Ellen.

Elle se tourne à ce moment là vers moi et sourit de toutes ses dents. Putain. Cette fille je l'aime pas.

- Qu'est ce que tu fais ici ?

J'ai cette horrible impression que quelque chose se trame, mais je ne sais pas pourquoi. Y a anguille sous roche. Pourquoi cette impression que c'est moi qu'elle cherchait ?

- Tu es vraiment si naïf Drace, dit elle d'une voix froide et en même temps doucereuse.

Je crispe la mâchoire tandis qu'elle s'avance vers moi. Je me lève et par réflexe, recule en rangeant mon portable dans ma poche arrière. Il me reste dix fucking minutes à attendre avant que le bus n'arrive.

- Tu n'es même pas discret.

Mais de quoi elle parle ?

Ellen voit l'incompréhension dans mes yeux. Elle esquisse une petite moue, si insupportable que j'ai envie de lui en coller une.

Ne frappe jamais les filles, m'a dit un jour Melvin. Pas parce qu'elles sont plus faibles, mais parce que c'est comme ça.

Je m'efforce de me contrôler.

Parce que là, c'est pas une fille, c'est une humaine avec des cornes que j'ai envie de foutre six pieds sous terre.

- Quand on ne sait pas revêtir correctement un masque, on ne deale pas à la fois, pour deux personnes ennemies qui se haïssent.

Oh bordel.

Melvin.

Valentin.

Je reste buté sur leur visage qui s'interposent l'un sur l'autre dans mon esprit. Je ne sais pas qu'elle tête je fais, mais mes yeux s'écarquillent. Ellen explose littéralement de rire. Je suis trop en colère contre moi même, ou contre elle, je ne sais pas, et je ne réagis pas face à sa jubilation.

- Quoi ? Attends, mais de quoi tu parles, je ne deale pour aucun des deux, dis-je, au comble du désespoir.

Je suis si peu crédible. Cette fois, son visage change de couleur et s'assombrit. Elle ferait presque peur à voir avec la capuche de son manteau rabattue par-dessus son visage. Je suis pris comme un rat dans son piège et tente de m'échapper en vain.

- Arrête Drace, s'il te plaît, dit elle fermement. Je suis au courant de tout, ça ne sert à rien de nier.

M'a t-elle suivie ?

Quelqu'un le lui a dit ?

Je passe une main dans mes cheveux, l'air embêté. Elle me regarde et je peux percevoir de la peine dans ses yeux. C'est pas de la bonne peine, c'est de la pitié. Je suis le petit oiseau prisonnier entre les mains de cette fille. Je ne la regarde même plus. Soit elle est là pour me martyriser et me faire peur, soit elle s'est déplacée pour avoir quelque chose à tirer de ma situation.

- Eh oui Drace, reprend elle. Quand on veut faire des choses interdites, il faut bien les faire, sinon on ne les fait pas.

Mais oui bien sûr.

Tiens, Melvin aurait dit la même chose.

D'ailleurs, c'est peut être lui qui lui a apprit tout ça.

Elle s'avance et je ne prends plus la peine de reculer.

Je renifle bruyamment, prêt à pleurer. J'hésite vraiment, mais alors vraiment, à la déglinguer. Là, je sens mon corps tout entier prêt à s'enflammer à tout moment.

- Je pensais que Melvin te l'avais dit, ça. Calme toi maintenant.

Sa voix s'adoucit mais ça ne me rassure pas. Elle tient les rennes, elle le sait, et moi aussi. Maintenant elle décide de passer par la pitié et d'utiliser son droit de véto pour me descendre.

- Tu peux encore t'en sortir sans aucune cicatrice.

Je tourne mon visage vers elle en plissant les yeux. Elle sourit, consciente d'avoir attiré mon attention.

- Je ne suis pas du genre rancunière Drace. Mais tout ce que tu m'as dis, tout ce que tu m'as reproché par rapport à... tu sais quoi, m'a touché. Beaucoup blessée.

Ses yeux virent au noir.

- En plein coeur. Un parfait ignorant comme toi m'a jugé et critiqué pendant des jours entiers par rapport à cette histoire avec Melvin que tu ne connais absolument pas.

Un silence dure.

Je déglutis. Elle veut se venger, c'est compréhensible. Les rôles s'inversent. Néanmoins, je ne compte pas me plier aussi facilement. Je sais que d'une certaine manière, Ellen est toujours sous le charme de Melvin. Il faut que j'utilise cette carte.

- Qu'est ce qu'il te faut contre ton silence ?

Elle esquisse un sourire diabolique, comme si elle attendait cette question depuis longtemps.

- C'est très simple, dit elle en se postant face à moi.

Nous ne sommes plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Je me redresse pour reprendre contenance. Je viens d'être allé voir Valentin Jace. Ce n'est pas Ellen qui va me faire tomber.

- Mais ça ne va pas te plaire.

Elle lève un doigt pour m'inciter à me taire afin que je la laisse continuer.

- C'est tout le principe du marché, précise t-elle avec un grand sourire.

Je n'ai plus rien à perdre. Je pouffe au fond de ma gorge.

- Je t'écoute.

Devant la dureté de ma voix, elle pose un temps d'arrêt avant de me lâcher des yeux.

- Voilà ce que tu vas faire pour moi, Drace.