Chapitre 6

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Allya

Qu'est ce que Melvin a bien pu dire à ce flic ? C'est étrange, un jeune, qui demande à parler en tête à tête avec un flic. Les deux avaient l'air de se connaître. Melvin a du avoir pleins de problèmes avec les flics. En démarrant la voiture, j'ai remarqué à quel point il avait l'air pensif. Je n'ai pas osé le questionner à ce sujet, mais j'aimerais tout de même avoir une réponse. Je l'ai aidé. Et j'ignore à quel point l'avoir aidé aurait pu me coûter cher s'il avait fait quelque chose de grave. Je sais qu'il n'a pas l'air comme ça. Comme ça, comme un mec qui a des problèmes avec la justice. Mais je sais qu'il pourrait en être capable. Son indifférence naturelle peut être dangereuse pour lui comme pour les autres. Mais est-ce que être indifférent signifie vraiment ne pas être conscient de ce que l'on fait ? Bien sûr que si.

Il a finit par s'endormir au milieu du trajet. Je ne l'ai pas réveillé. Je ne pense pas qu'il aurait voulu, et il avait l'air tellement épuisé quand il est monté dans ma voiture tout à l'heure. Puis, il est mignon quand il est dort. Pourquoi ne peut il pas être aussi mignon quand il dort que quand il est réveillé ? On aurait dit un enfant plongé au milieu d'un rêve. La voiture des policiers a continué de nous suivre sur quelques mètres avant de disparaître au tournant d'une rue. Je pense que c'était voulu. Ils ont vu que je transportais un mec qu'ils n'ont pas l'air de saquer dans ma bagnole. Melvin a du leur causer beaucoup de torts. J'imagine bien la police complètement perdue face à un mec comme Melvin. Comment ne pas l'être devant un homme qui se fiche du monde et des gens ? On ne peut pas le comprendre.

Il est revenu avec une mine maussade vers la voiture, qui laissait penser qu'ils n'avaient pas forcément discuté de choses joyeuses. Mais quand il m'a regardé, au milieu du chaos de ses yeux se cachait une petite lueur : il souriait. Ce petit sourire, là, en coin. Alors, non, je ne le comprends pas. Je ne l'ai pas réveillé et j'ai espéré qu'il ne se réveille pas avant d'être arrivé à destination. J'imaginais ma main qui doucement, viendrait caresser sa joue pour le réveiller. J'imagine quelque chose qui n'arrivera pas, parce que je n'aurai pas le courage de, ne serait-ce, qu'effleurer cette peau si brûlante.

Le bouton rouge clignote sur l'écran du GPS trente minutes plus tard. Je ralentis devant un pâté de maison similaire au mien. J'avais oublié que j'ai conduis jusqu'à chez lui. Je me gare devant une énorme maison blanche en béton, positionnée au milieu d'un grand jardin impeccablement entretenu.

Je me décide enfin à le regarder: il dort toujours, affalé sur le fauteuil avant, les bras refermés autour de son torse. Je porte encore son sweat. Je l'observe pendant deux minutes sans le réveiller. Il a l'air de dormir si profondément. Et si je roulais aussi loin possible que cette ville, comme il l'a suggéré l'autre fois chez Jasper ? Nous pourrions partir, tous les deux, et nous exiler là où il n'y aurait personne pour nous déranger. Au bout d'un moment, je vois ses lèvres qui s'entrouvrent.

- On est arrivé, murmure t-il.

Merde. Trop tard. Je ne pourrai pas caresser moi même sa joue si douce. Mais son ton est calme et me rassure.

- Oui.

- Arrête de m'observer, dit il soudainement sans rouvrir les yeux.

Ma main retombe sur le volant. C'est dingue, même les yeux fermés, il sait ce que je fais. Il sait tout ce que je fais. J'aimerais lui demander comment est-ce possible, mais il lit dans mes pensées.

- Le cerveau a le pouvoir de sentir les regards des gens même quand nous ne les regardons pas, explique t-il calmement d'une voix faible.

Il se tait un instant.

- Je crois que c'est comme ça que commencent toutes les plus grandes histoires d'amour, ironise t-il.

Il se met à rire un peu. Ah, il ne s'arrête jamais.

- Tu devrais y aller, dis-je finalement.

Sans se redresser, il rouvre les yeux et tourne sa tête vers le portail. Je vois ses yeux qui se baissent lentement et se bloquent sur un point invisible. Il hésite. Dehors, il s'est mit à pleuvoir.

- Oui, finit-il par répondre. J'y vais.

Il tourne sa tête vers moi et me sonde du regard. Encore une fois. C'est le moment où tu es censé me remercier, Melvin. Mais vas -tu simplement le faire ?

Il ouvre la portière, et s'engouffre à l'extérieur avant de la refermer. Il ne m'a pas remercié, mais je sais qu'au fond, il est reconnaissant. Je ne sais pas, l'intuition. J'aurais pourtant aimé qu'il me le dise. Je le regarde passer la porte du portail, et redémarre. En cours de route, mes pensées s'attardent sur ce qu'il vient de se passer cette après-midi. Je suis partie à la bibliothèque dans le but d'oublier un peu ce gars. Mais il faut toujours qu'il réapparaisse de n'importe où. Il hésitait à sortir. Il fait froid et je frissonne violemment. Je caresse mon bras pour me réchauffer. Soudain, je baisse les yeux sur le tissu que frôlent mes doigts: C'est le sweat de Melvin. Il a oublié de le reprendre, et je souris bêtement. En plongeant mon nez dans le pull, je respire son odeur. Tu m'as prêté un bout de toi, Melvin. Maintenant, il va falloir qu'on se revoie.



1. Melvin Meyer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant