1. Melvin Meyer

Chapitre 54

Allya

Il est l'heure de déjeuner quand j'arrive enfin à remettre un peu d'ordre dans mon esprit. La matinée a été longue et éprouvante. Par la faute d'un si petit détail comme celui là, j'ai laissé ma concentration ailleurs ce matin. Impossible de suivre le moindre cours ou d'être attentive à ce qu'on me dit. Je marche aux côtés de la Bande en direction du réfectoire quand des cris ressemblant à des acclamations résonnent à l'autre bout du couloir.

- Oh, encore une dispute ? lance Joss en tendant le cou.

Elle lève la tête par-dessus l'épaule de Jasper qu'elle tient par la main. Je n'ai jamais vraiment compris leur relation mais je ne crois pas qu'ils soient ensembles, même s'ils se comportent exactement comme un couple se comporterait.

- Encore une bagarre entre secondes, dit Benjamin qui a l'air de réussir à apercevoir la scène de là ou il est.

Nous nous approchons d'un pugilat qui s'est refermé autour de deux élèves. L'un en tient l'autre contre un casier et s'apprête à le frapper. Soudain, une révélation, comme un flash, alors que j'aperçois un bout de visage qui apparaît entre deux personnes. C'est Drace. Son visage est violacé et rouge de colère. C'est à peine si je ne peux pas lire la haine qui scintille dans ses yeux.

- Drace !

Je m'élance vers lui mais tout s'enchaîne. Il se retrouve soudainement propulsé en arrière et j'ai à peine le temps de réagir que le mec fond sur lui, l'attrape par le col et le balance contre les casiers. Les exclamations de surprise fusent dans tous les coins. La seule chose que je vois, c'est le visage crispé de douleur de mon frère jusqu'au moment où une sombre silhouette qui arrive tel un cobra qui attaque, s'interpose entre les deux.

Melvin.

L'action se ralentit, les voix s'estompent d'un coup. C'est impressionnant de voir à quel point il sait capter l'attention. Quand il est là, j'ai l'impression que les gens n'ont d'yeux que pour lui.

Et qu'est ce qu'il fait là ? Il vient de défendre mon frère, comme un héros. Ça, c'est Melvin.

J'ai la gorge nouée. En le voyant, il m'apparaît comme un inconnu et je ne sais pas pourquoi, ça me fait mal. La première chose que je me dis c'est qu'il a beau être là, je ne peux pas accepter le fait que mon esprit continue de lui courir sans arrêt après. C'est comme de la tristesse refoulée, une tragique mélancolie qui m'apaise autant qu'elle me fait mal. J'essaie d'effacer mes doutes et mes émotions incontrôlables pour ne pas perdre pieds.

- Vous vous foutez de moi, tous les deux ?

Le mec qui s'en est pris à Drace se balance sur un pied en passant une main derrière sa nuque. Il a un début de cocard à l'oeil. La bagarre a du débuter bien avant notre arrivée. Je laisse faire Melvin, incapable de m'interposer. Dans le rôle de grand frère protecteur, il est plus doué que dans celui de mec aimable. Drace a l'air étonné de le voir, comme les trois quarts des élèves présents. Il suscite toujours une diversité d'émotions qu'on ne contrôle pas. La surprise, la peur, l'appréhension, l'angoisse, l'étonnement. Le plus souvent, la surprise. La mauvaise surprise. Pourquoi est-ce autant ce qui m'attire et me repousse ?

- Vous pensez pas avoir passé l'âge de vous battre comme des gamins ?

Je n'ai jamais vu Melvin débuter une bagarre. D'ailleurs, je ne l'ai jamais vu vraiment en colère non plus. C'est peut être un de ces mecs pacifistes qui derrière ses airs de gros durs, cache le plus tendre des coeurs. Dans les yeux de certains, je n'en reste pas moins sûre que beaucoup craignent qu'il se retrouve esseulé, ou qu'il devienne un rebut de la société. Personne n'a envie d'être ça. Melvin, quand on commence à le connaître un minimum, on découvre que ça ne le gêne pas.

Parfois, je les envie de savoir où ils vont.

Puis j'me rappelle qu'en fait, ils ne savent sans doute pas où est-ce qu'ils vont.

Melvin n'est pas comme les autres. Je doute que ça soit le cas un jour. D'un côté, je me sens concernée de le voir évoluer. Je ne voudrais pas le voir changer.

Le plus bouleversé des deux bagarreurs a l'air d'être mon frère, qui respire difficilement en essayant de se calmer. Il n'ose pas regarder Melvin dans les yeux. Je suis surprise de l'avoir vu se calmer aussi facilement. Soudain, il se baisse pour reprendre son sac après une grande inspiration et fend la foule sans un mot. Sans oublier, bien sûr, de me bousculer en passant. C'est à ce moment là que mon regard a croisé celui de Melvin et que j'ai pensé très fort que le temps s'était arrêté. Encore. À côté de moi, Jasper profite de ce moment de silence ébahi par l'arrivée de Melvin pour venir se planter devant tout le monde.

- Les gars, lance t-il à pleins poumons, visiblement sûr de ce qu'il est en train de faire, j'organise une petite fête sur la plage ce soir, ça vous tente ?

Son invitation est reçue par des applaudissements et des huées. Tout le monde semble déjà avoir oublié ce qu'il vient de se passer en moins de trente secondes. Choquant.

- Pétards, fumigènes, ramenez tout ce que vous avez. On s'dit vingt trois heures et on se débrouillera avec les flics s'ils viennent nous emmerder.

Il me semble que ce genre de choses sont interdites sur la plage, n'est ce pas ? C'est bien pour ça qu'il y a des flics à chaque coin de rues. Il y a des dingues partout. Des jeunes guidés par l'adrénaline. Les applaudissements qui doublent démontrent qu'il y aura du carnage sur la plage, c'est certain. J'irai, sans doute. S'il vient. Je suivrai le mouvement même si je n'applaudis pas. Melvin a ses yeux rivés sur moi. Il ne cille pas, pas même d'un battement de cils. Ses prunelles sondent mon esprit, pourtant son regard est blanc, dénudé de la moindre expression.

Quand la sonnerie résonne au-dessus de nos têtes, le mouvement reprend. Je suis bousculée dans tous les sens et mon attention se détourne de lui. Je cherche la Bande du regard, chacun s'éloignant déjà vers leur salle respective. Je tourne ma tête en direction de Melvin après avoir rejoint mon casier, mais à travers la foule, je ne le vois plus. Il a disparu.