Chapitre 50

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Valentin

Quelles gueules ils tirent en me voyant déambuler dans les couloirs du lycée. Ils ont tous l'air estomaqués de me voir ici. Sérieusement là. J'suis un revenant.

On dirait qu'on vient de leur foutre une claque. Je n'ai pas pris la peine de prendre un sac pour me faire passer pour un élève. Le concierge m'a regardé rentrer dans l'enceinte du bahut sans un mot. J'crois qu'il sait qui je suis.

J'arpente les couloirs du lycée où j'ai passé seulement quelques mois de ma vie en seconde. Après je crois qu'ils m'ont oublié car l'année suivante, je n'ai reçu aucun autre dossier d'inscription pour mon entrée en première.

Plus j'avance dans l'établissement, plus je me dis que l'idée de l'avoir quitté n'était pas si mauvaise. La personne que je cherche néanmoins est élève ici et soit elle se cache, soit elle ne commence pas les cours maintenant. Ce que je sais, c'est que ça fait trente six fois que je fais le tour du premier couloir à sa recherche.

Ce n'est que vingt minutes plus tard que je l'aperçois adossé contre les casiers au rez-de-chaussée à discuter avec ses potes. Sans un mot ni un regard, j'attrape la capuche de Drace Joyce et le tire à l'écart. Ses potes sont prêts à m'arrêter mais en me reconnaissant, il se résignent. Ouais, vaut mieux, ouais. Je n'arrive pas à croire que même des gamins que je n'ai jamais vu moi même puissent me reconnaître.

J'amène Drace à l'écart là ou personne ne peut nous entendre, dans les toilettes des garçons, et ferme à double tour derrière nous. Il remet maladroitement sa capuche en place. C'est en relevant mes yeux sur lui que je remarque à quel point il est devenu blême. Il est jamais comme ça normalement. C'est la surprise, ou... non, impossible.

- Valentin, mais qu'est ce que tu fais là ? , bafouille t-il lamentablement.

Sans lui répondre, je m'allume une clope et en observe le bout se consumer devant mes yeux. Il est aussi blanc qu'un linge, je ne pensais pas faire aussi peur que ça sincèrement.

- Tu es un dealeur fidèle Drace, dis-je calmement.

C'est un compliment qu'il a l'air d'apprécier mais apparemment, il ne s'y attendait pas. J'aime surprendre les gens. Il me jauge, d'abord étonné, avant d'hocher la tête.

- Merci.

J'attends qu'il retrouve un peu de ses couleurs et je viens poser une main franche sur son épaule avant de flatter sa mâchoire. Je soupire. J'aurais jamais pensé faire ça un jour.

- J'aimerais vraiment t'inviter à manger un de ces jours avec ta mère.

Il reste dubitatif. Ça, c'est d'abord parce que j'ai parlé de sa mère. Puis, c'est aussi parce que se faire inviter à un dîner en tête en tête, c'est pas tous les jours que je fais ça. Autant que moi je hais ce petit enfoiré de Melvin, lui déteste sa mère. Ou du moins, il ne peut pas la supporter.

- Avec... ma mère ?

- Oui, j'aimerais la rencontrer. Pour parler un peu de toi, du fils que tu es, faire connaissance quoi.

J'utilise un ton qui ne me ressemble pas. J'fais genre je suis devenu un adulte authentique, qui veut rencontrer la mère de son petit copain. Ça doit sonner bizarre, mais il n'y voit que du feu. Quand on ment, on doit tout mettre de notre côté. Ma voix est douce. Je tire une taff de ma clope.

- Tu vois ?

Il détourne le regard. Il ne sait pas quoi répondre, c'est mignon. De tout façon, il n'a pas le choix. C'est avec elle ou je trouverai un autre moyen de la rencontrer. Il est temps pour mon beau père de changer un peu d'horizon et d'oublier ma si merveilleuse mère qui se tape n'importe qui dès qu'elle en a l'occasion. J'lui dirai pas, parce qu'il risquerait de le prendre très mal. Pas besoin d'être intelligent, suffit de bien regarder son visage. Ça se lit dans ses yeux. Quoi que, il y a des possibilités qu'il fasse aussi la même chose dans son dos.

S'aiment-ils, seulement ? C'est le cadet de mes soucis mais parfois je m'en préoccupe, pour m'éviter de penser aux affaires tout le temps. Ce déjeuner, c'est pas pour rien.

La mère de Drace est parfaite. Je sais que l'ex-femme de mon beau père lui manque parfois, et qu'il a besoin d'oublier ce qui lui fait mal. Il n'a qu'à prendre cela comme un bon traitement de faveur de ma part. Une récompense. Un cadeau...

- Tu lui en parleras, s'il te plaît ?

Je garde toujours le même ton, mais une pointe d'autorité ponctue ma voix. Finalement à contre coeur, il hoche la tête.

- Passe moi son numéro.

Il me regarde d'un air suppliant puis comme il sait que je ne compte pas lâcher l'affaire, il finit par obtempérer.

- Ce... C'est interdit de fumer dans le lycée, fait il timidement comme pour combler le silence qui nous sépare.

J'enregistre le numéro, lève mes yeux sur lui, puis écrase le mégot au fond d'un lavabo, regard fixe sur son visage. Je lui offre l'un de mes plus beaux sourires.

- C'est pour ça que je le fais.

J'adore ce ton que j'emploie. Sans rien ajouter, je m'éclipse et laisse derrière moi un Drace à court de mots. C'était tellement simple. 

1. Melvin Meyer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant