1. Melvin Meyer

Chapitre 34

Drace

Je suis à deux passages piétons de chez moi et pour tout dire, j'hésite à rentrer. Je ne sais pas si c'est cet endroit que je hais, ou les deux personnes avec qui je suis contraint de vivre depuis le début de cette fichue année scolaire.

Je ne sais pas si je hais Allya, ou ma mère, ou les deux.

Ou même Melvin.

Tu ne peux pas haïr Melvin, Drace.

Tu ne le pourras probablement jamais.

Mais, pourquoi moi ?

Ce dont je suis sûr, c'est qu'un torrent de larmes se mélange aux gouttes qui ruissellent sur mes joues crasseuses, depuis qu'il s'est mit à pleuvoir. J'ai attendu la fin des cours pour courir me réfugier dans les rues vides de Vallen, si peu soient elles, afin de pleurer. Je me suis rendu compte à quel point ça faisait du bien de pleurer. Ne retiens jamais tes larmes, sinon elles vont déborder. J'ai beau m'avoir répété les mots de Melvin, je ne me suis jamais senti aussi pathétique. Et je me suis efforcé de me dire que je me trouvais faible, non pas seulement parce que je pleurais, mais parce que je pleurais à cause de lui.

C'est quoi ce bordel ? Réveille toi.

Melvin avait raison, comme toujours. Je garde trop de choses en moi et il faut que ça sorte. Aujourd'hui, ce n'était qu'une petite partie de moi qui s'est échappé. Je finis par pourrir de l'intérieur. J'ai l'impression d'être dans la dernière phase de ma pourriture intérieure. Celle qui arrive en flèche quand la pomme est resté trop longtemps sur le bois.

Et il n'y a qu'une cause à cela aujourd'hui.

Quand j'ai ouvert le journal privé au lycée tout à l'heure à midi, et que j'ai vu la photo, j'ai cru que je rêvais.

J'ai cru que ce n'était pas Melvin. J'ai cru que ce n'était pas la chambre d'Allya.

J'ai essayé de m'en persuader, en vain. Mon coeur souhaitait devenir aveugle face à cette photo, mais ma raison m'a rappelé à l'ordre. Je ne rêvais pas.

Ça ne pouvait être que la sienne. Le seul dilemme que je dois résoudre, c'est pourquoi Allya m'a fait ça.

Pourquoi à moi.

J'ai une bande de potes au lycée, avec qui je m'entends relativement bien. Ils sont tous très sympas. Seulement, Melvin, c'est différent. Parfois, le ciel nous envoie des gens et les pose dans notre vie. On a beau chercher la raison pour laquelle on les aime autant, mais on ne la trouve pas. Peut être parce qu'il n'y a rien à trouver.

Peut être que c'est comme ça.

Melvin n'est pas mon ami. C'est comme un frère pour moi, et quand je l'ai vu pour la première fois, c'est dans ses yeux que j'ai trouvé la vérité. C'est comme si ça avait toujours été comme ça. C'est le mec qui a su trouver les mots, sans même me toucher. C'est lui qui tord mes tripes à chaque fois que j'entends son nom ou d'autres quelconques allusions à lui sans qu'il ne soit là. Une sorte d'ange gardien, ou j'sais pas trop quoi.

Il fallait qu'elle trouve le culot de me le prendre. Si tu as peur. Affronte l'ennemi dans les yeux.

Mais est-ce que j'ai peur, Melvin ?

Bien sûr que oui, Drace. Regarde toi, ça pue la peur là.

Avec une rage folle qui s'attise toute seule en moi, le Melvin de mon esprit que je m'efforce de faire vivre quand je ne suis pas avec lui attisant ma haine, en bien, ou en mal, je m'avance d'un pas pressé vers la maison en essuyant mes larmes.