Un pas. Un pas tranquille. Le pied creusa le sable. La marque serait bientôt balayée par les vents mais pour l'instant, elle était là. Et elle marquait un renouveau.
L'homme l'observait, songeur et grave. Il savait à quoi il s'engageait et en frémissait d'avance. Un pas.
Au loin, le Tanezrouft étendait ses regs brûlants : une étendue rocailleuse sans aucun point d'eau, longue, interminable. Derrière, le dernier oasis. Devant, la chaleur implacable du soleil. L'homme tourna son regard vers ce désert et serra les poings.
Il fit un deuxième pas, sa main tenant fermement la longe d'un mehari. Accroché à sa suite un deuxième suivait, tous deux aussi chargés qu'il était possible de le faire.
L'homme inspira longuement, et s'enfonça dans le Tanezrouft. Ces pas laissaient des marques sur le sable, fuyant dans le lointain vers un pays qu'il abandonnait. On tournait une page.
Il se souvenait et ne voulait pas. Ses méchantes pensées revenaient le hanter : un passé sanguinolent qu'il souhaitait recommencer. Un passé où les hommes avaient laissé des sillons sur ses traits et creusé son cœur. Était-il possible de recommencer ? Est-ce qu'un cœur meurtri pouvait se rehausser à la limite des rêves et des ambitions ? Ou l'âme noirâtre ternira-t-elle toujours l'or de la pureté ?
Il se souvenait. Et ses pensées meurtrissaient son âme en fendant toujours plus sa résistance et tourbillonnaient, et en tourbillonnaient encore et encore. Tout allait très vite et s'emmêlait. Il sentait un féroce désir de vengeance percer ses barrières et celles de son esprit. Et il se mit à murmurer très vite, des paroles inaudibles. Le regard fiévreux, la mine malade. Peu à peu sa voix s'éleva. Il tournait sa face desséchée vers le ciel ardent et criait, hurlait, gémissait... Soudainement, il haleta. Il s'était arrêté et fixait désormais le sable avec crainte. Que s'était-il passé ? Son souffle reprit sa régularité. Il calma les battements désordonnés de son cœur. Et reprit doucement et soigneusement sa marche.
L'homme allait, songeant et le cœur lourd. Il se sentait si las et aurait voulu en finir. Il ne pouvait pas : son destin ne le lui aurait pas permis. Une voix lui criait qu'il n'en avait pas terminé et qu'il devait aller plus loin, plus haut, jusqu'à embraser le Sahara par son charisme. Aussi il lui fallait endurcir son cœur et se mystifier.
Et c'était en ces lieux que l'homme devait venir se ressourcer. Ce désert qui s'offrait à lui à la fois si attrayant et puis si trompeur lui donnerait le cœur nécessaire pour satisfaire son orgueil. L'astre brûlait toute impureté. Ne ressortait de ces terres arides que des élévations de l'âme soupoudrées d'or par le sable incandescent. Cet abîme utopique façonnait les grands hommes avant de les lancer dans les étoiles du Sahara.
L'homme aux deux mehara était différent, porté à d'autres plaisirs et d'autres ambitions. Il voguait sur les flots ensablés, l'âme rêveuse de la légende qu'il souhaitait vivre. Tout en lui était plein de contes merveilleux qui crépitaient, qui bourdonnaient, prêts à s'évaporer sous la chaleur du désert. Tout explosera et son aura s'étendra, il en était certain, vers les contrées lointaines encore endormies. Et c'était à lui de créer la légende... Quand l'heure sera venue.
Le soleil était parvenu au faîte de sa course et étendait son manteau brûlant comme une chappe de plomb sur les épaules du voyageur. Le temps passait, l'éloignant inexorablement des terres habitées et le perdant au milieu des regs austères. Le dernier oasis se fondait lentement dans la chaleur, pâle tâche de verdure en suspension entre deux éléments. Le mehariste tournait le dos aux frivolités et faiblesses d'un monde corrompu et s'enfonçait dans l'âpre terre sauvage et inexplorée.
L'homme avait revêtu un ample burnou blanc qui tombait jusqu'aux pieds et lui donnait belle allure. Un chèche bleu cachait son visage et ne laissait appercevoir que ses deux yeux trop clairs aux couleurs de l'azur. Deux pupilles qui fouillaient l'horizon d'un air ironique et altier. L'homme solitaire s'en était allé à travers le désert.
Du côté de l'oasis, s'il s'était retourné, il aurait pu percevoir de l'agitation. Des soldats à cheval étaient parvenus au petit point d'eau et s'étaient arrêtés net à la frontière du Tanezrouft. En vain, ils avaient cherché le fuyard. Puis, avec inquiétude et tremblants, ils s'étaient tournés vers le reg. Le capitaine avait pointé sa lunette dans un frémissement : un homme bleu s'en allait au loin de son pas tranquille et régulier.
- Nul n'est jamais revenu vivant du Tanezrouft. Alors lui aussi mourra et la nature se chargera de le punir.
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Tanezrouft : désert au sud de l'Algérie fait de caillasses et... De caillasses. Sans eau, très plat, très chaud, particulièrement invivable.
Reg : un désert fait de cailloux justement.
Mehari (pluriel mehara) : race noble de dromadaire.
Je crois que je n'ai rien oublié😉.
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L'Homme bleu ou Histoire d'une légende
Historical FictionUne légende lointaine, une envoûtante sorcière, un mystérieux fugitif et le pur désert du Sahara, 1902. La liberté, la solitude et le calme sont là. Mais le nom de l'homme bleu ne brille pas encore dans le ciel étoilé. Alors sa quête de légende comm...