Surprise, la jeune fille observa un court instant de silence avant de reprendre rêveusement :
- Leur ambition passe aussi par la conquête. Et par Zerzura. Peut-être faudrait-il songer à reprendre cette quête ?
- Zerzura ?
- Mais pourquoi Zerzura ? Les touareg cherchent depuis longtemps déjà. Et le Tanezrouft est maudit !
- Nul n'est revenu de Zerzura...
- Mais si l'armée prend Zerzura, intervint Tarana, les touareg peuvent dire adieu à leur indépendance.
Sa réplique causa une grande agitation. Chacun se mit à défendre ses idées sur l'existence de cet oasis oublié. Mais le ton montait et les esprits s'echauffaient. Même le vieil Amghar s'était levé pour crier son point de vue et seule Tarana se taisait, mélancolique. Zerzura avait toujours été une pomme de discorde chez les tribus d'Algérie.
Quand soudain, interrompant leur impétueuse querelle, on entendit des cris dans le lointain ; et les touareg, en redressant la tête, purent appercevoir un nuage de fumée. Dans l'instant, un vent de panique balaya le camp et l'on vit les femmes et les enfants tenter de fuir.
Les hommes se levèrent tous d'un bond et dégainèrent frénétiquement leurs sabres et leurs poignards. Certains, les plus fortunés, sautèrent sur la croupe de leur mehari en poussant sauvagement un cri de guerre. Tous se pressèrent devant le campement, tremblant de colère contre l'armée française et désireux de venger les otages pris les trois dernières fois. Ils avaient désormais un ardent désir de combattre et l'Amghar vint le renforcer en s'écriant :
- Êtes-vous prêts à venger les nôtres ? Êtes-vous prêts à défendre chèrement notre indépendance et nos traditions ? Êtes-vous prêts à mourir ou à subir la prison ? Voulez-vous une paix honteuse ou défendrez-vous la tribu comme il se doit ?
Une grande clameur lui répondit et les hommes, sabres au poing et montés sur leurs beaux mehara, hurlaient leur colère et leur rage de vaincre. Les touareg avaient choisi leur camp.
Les femmes et les enfants s'étaient réfugiés derrière de hautes dunes plus loin. On ne les entendait plus, on ne les voyait plus. Il ne restait que les hommes, les combattants.
Mais Tarana, étrangère et différente, était restée sur le sable, craintive. Cette dernière circonstance l'avait surprise et profondément inquiétée. Ce ne pouvait pas être une coïncidence... L'armée ne devait pas venir pour prendre une nouvelle poignée d'otage, mais pour elle. Pour Tarana.
Effrayée par cette idée, la jeune femme se redressa subitement et courut vers son mehari. Elle sauta lestement et, après une brève hésitation, le talonna en direction du Tanezrouft. La peur d'être capturée lui donnait les aîles nécessaires pour fuir. Et fuir loin !
Si les soldats la capturaient, les conséquences pouvaient être dramatiques. Elle se savait fragile, bien qu'importante, et craignait de tout dévoiler. Mais ce qui l'effrayait le plus, c'était les paroles de son père peu avant sa mort "Mon enfant, je vais te réveler le secret de Zerzura. Tu es trop jeune pour comprendre son importance, aussi je ne te l'explique pas. Mais souviens-toi bien de ne pas divulguer ce secret à n'importe qui. C'est à celui à qui tu prêteras allégeance, et à lui seul, que tu pourras réveler ce secret. Si l'on te l'arrache par la force, dis-toi qu'une guerre pourrait se créer. Ne te laisse pas faire, mon enfant. Mais fuis ! Fuis les hommes !"
Et depuis sa plus tendre enfance, la jeune fille avait craint le menace et passer sa vie à fuir. À fuir.
Les soldats français étaient arrivés. Ils avaient hésité en constatant les touareg rangés pour le combat de façon tout à fait inhabituelle mais s'étaient décidés à attaquer.
La lutte s'était engagée, inégale. En effet, malgré leur violente colère qui les poussait à la témérité, les touareg étaient moins bien armés que les soldats français. On comptait de nombreux blessés déjà. Ce combat était un pur massacre.
L'Amghar, le comprenant, voulut stopper l'attaque en levant son vieux bras fatigué. Il s'attendait à une réaction immédiate et ressentit un pincement au cœur en s'appercevant qu'on ne l'écoutait pas. Certes on avait bien apperçu son bras levé, mais nul n'avait répondu à l'ordre et tous poursuivaient leur combat. Une pensée supérieure les animait tous : les paroles criées précédemment par cet Amghar imprudent ne s'effaçaient pas de leur esprit.
Et soudain, il y eut un mort. Pour la première fois, un targui fut tué. Alors ce ne fut plus des blessés ou des otages qu'il fallait venger, mais ce mort ! Ce si jeune targui ! Les touareg redoublèrent de violences et commencèrent à prendre le dessus. L'Amghar baissa son bras, vaincu par le courage de sa propre tribu. Comment est-ce que ce combat impromptu se terminerait ?
Le capitaine Albret ordonna alors à ses soldats de redoubler de vigueur et de prendre quelques otages. On vit le courage des militaires français reprendre le dessus et quelques touareg furent descendus de leurs mehara et emportés sur la croupe d'un cheval français. Incrédules, la tribu arrêta progressivement les combats et se recula vers ses tentes. Le capitaine s'avança vers l'Amghar et cria bien fort pour que tous entendent :
- Si vous ne vous êtiez pas montrés belliqueux à notre arrivée, il ne vous serait sans doute rien arriver. Votre résistance fut héroïque mais je dirais qu'elle fut vaine. Ce n'est pas vous qui nous intéressiez. Ce n'est pas vous mais... Mais Tarana ! Or nous savons que vous l'avez cachée, maudite tribu ! Dites nous où elle est ! Dites-nous où elle s'est enfui et nous libérerons tous les otages pour reprendre les négocations sur un ton plus courtois...
Un grand silence stupéfait accueillit ce discours. On murmurait "Tarana", et on la cherchait. Mais elle semblait avoir disparue en profitant de l'agitation. Alors un des touareg s'écria :
- Mais la lâche s'est enfuie lorsque nous avions le dos tourné !
Le capitaine le foudroya du regard et, après une brève hésitation, s'en retourna vers Tamenssaret.
Un des otages avait tout retenu. Un sentiment de trahison et de haine l'avait saisi. Lui avait vu Tarana fuir. Il savait qu'elle était partie dans le Tanezrouft et se doutait de ce qu'elle y ferait, l'envoûtante sorcière.
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Imajhegen : Tribu noble et supérieure aux autres
Imrad : tribu noble vassale des Imajeghens
Imgharen : pluriel de Amghar (si vous avez oublié Amghar veut dire chef de tribu Imrad)Est-ce que le vocabulaire est trop compliqué ou ça va ? ;)
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L'Homme bleu ou Histoire d'une légende
Ficção HistóricaUne légende lointaine, une envoûtante sorcière, un mystérieux fugitif et le pur désert du Sahara, 1902. La liberté, la solitude et le calme sont là. Mais le nom de l'homme bleu ne brille pas encore dans le ciel étoilé. Alors sa quête de légende comm...