Chapitre 23 - La tombe du désert (2)

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- Grandfort !

Ce-dernier accourait vers la caravane avec un grand sourire, ravi de retrouver son ami.

- Ah ! Beauvey, as-tu fait bon voyage ?

- Compliqué, grimaça-t-il en réponse.

- Vous devez être fatigués. Nous avons des vivres pour vous et de l'eau en abondance. Mais... Une troupe de soldats venait vers Abalessa quand nous sommes arrivés.

- Ne t'inquiète pas. Ils ne viennent pas pour nous mais pour cette troupe qui nous suit derrière.

- Des soldats vous suivent ?

- Depuis le début, oui. Nous ne pouvons rien faire pour les écarter. Nous devons être à force égale. Je ne sais pas ce qui se passera lorsque nous arriverons à Zerzura... Je verrais bien.

- Écoute, raconte-moi. Ce sera plus simple.

L'homme bleu acquiesça. Grandfort écouta tout sagement jusqu'à l'empoisonnement de Tarana.

- Où est-elle ? S'écria-t-il alors en se levant d'un bond.

- Elle est morte. Nous l'avons laissée sur le sable.

- Qui l'a empoisonnée ?

- Nous ne sommes pas sûrs mais je soupçonne Meltiti. Celui-ci est d'ailleurs parti juste après sa mort.

- Ainsi Tarana était vraiment morte...

Et Grandfort à son tour conta tout ce qu'il avait fait jusqu'aux paroles de Vermet quelques jours auparavant. Alors les deux hommes, maîtrisant tant bien que mal leur douleur, prirent le temps de s'interroger :

- Tarana est morte et, bien que cela soit abominable, il nous faut poursuivre. Sans Meltiti, mais avec l'éclaireur parti prévenir les touareg restés au camp, la caravane peut continuer à travers le Tanezrouft. Les réserves d'eau devraient suffire...

- Tais-toi Beauvey.

Ce-dernier leva un sourcil.

- L'expedition, toi, moi... Tous savent que vous trouverez Zerzura.

- Zerzura... Reprit l'homme bleu rêveur.

- Mais le danger... Le véritable danger est dans ce traître que vous n'avez pas identifié. Je voudrais avoir la preuve que Meltiti a trahi.

- Quelle pourrait être la raison de tuer Tarana ? C'est ce qui me bluffe le plus...

- Et pourtant je crois avoir la réponse, murmura Grandfort. Si elle est la fille de l'Amenokal, Alger avait tout intérêt à la tuer pour décider ce prince à cesser tout combat.

- Or... Blêmit soudain l'homme bleu.

- Meltiti a longtemps vécu à Alger au contact des grands.

- Et maintenant qu'il est parti, murmura l'homme bleu, que devons-nous attendre de lui ?

- Eh bien reste sur tes gardes, mon ami. Reste sur tes gardes.

- Mass ! Est-ce que nous repartons ?

Un targui s'était approché pour questionner l'homme bleu. Ce-dernier se retourna et lui sourit :

- Bientôt, souffla-t-il.

Tous les vivres venaient d'être chargés. Deux touareg rejoignaient la caravane pour compléter les absences de Tarana et Meltiti. L'échange s'était fait rapidement. Ils pouvaient repartir.

En traversant les tribus pour rejoindre ses hommes un peu plus loin, l'homme bleu sentit se poser sur lui des regards admiratifs et des murmures. Grandfort était troublé et considérait ces réactions avec inquiétude. Mais l'homme bleu souriait.

Comme le malaise du premier augmentait, il le prit par le bras et l'écarta des foules pour lui demander precipitemment :

- Il y a autre chose que je ne t'ai pas dit. C'est plus personnel mais j'ai besoin de savoir ! Pourquoi fais-tu cela ?

- Et toi ?

- Moi je le fais parce que j'ai besoin de justice et que ma vie n'est qu'une quête de justice. Tu sais que ce sentiment est inscrit en moi. Mais... Je croyais qu'il en allait de même pour toi.

- Tu t'interroges maintenant parce que tu vois que ce n'est pas ce qui m'anime.

- J'ai l'impression que tu me caches des choses et je déteste ça.

- Tu te souviens de ma femme ? Camille ? Je t'en avais parlé. Elle se rendait à Alger. Elle aussi aimait la justice. Elle avait arrêté la voiture à l'entrée de la ville car elle venait d'apercevoir un français en train de battre un targui. Furieuse, elle avait défendu le natif mais le français furibond avait retourné sa colère contre elle. J'ai appris sa mort le lendemain.

- C'est ainsi qu'elle est morte...

- Oui c'est ainsi. Nous n'avions pas d'enfants. Pas encore. Alors libre, j'ai voulu penser à moi. Je voulais satisfaire ce désir de justice, comme toi, inassouvi. Mais je voulais surtout de la grandeur.

- Pourquoi ?

- C'est encore trop secret. La grandeur, c'était à cause d'un père trop autoritaire qui ne m'avait pas laissé... Grandir. Alors grandeur et justice.

- Est-ce tout ? Non ce n'est pas tout.

L'homme bleu ne répondit rien.

- Tu ne veux pas me dire s'il y a autre chose. Soit ! Homme bleu.

Beauvey sourit :

- Devine par quelle lettre commence mon prénom ?

- Un H ? Tu as les mêmes initiales qu'homme bleu ?

- J'ai un vieux nom, désuet mais que seul je trouve joli. Héloïs. Un jour je t'en dirai plus, mon ami. Quand j'aurai vaincu Zerzura et que ces deux initiales HB brûleront ce pays.

***

On pouvait dire que c'était la dernière ligne droite et que toutes les forces étaient jetées dans cette bataille. On pouvait dire que les meharistes voyageaient au galop, pressés de retrouver ce faible point dans cette mer dorée. On pouvait dire que seuls étaient restés ce trio d'hommes jaloux : Beauvey, Montbert et Albret. Mais à ce tableau, une couleur manquait, une couleur aux multiples nuances de princesse et de sorcière. À ce tableau, il manquait cette teinte pour l'équilibre des couleurs. À ce tableau, il y avait trop d'obscurité et pas assez de clarté.

Zerzura pouvait bien être trouvé. Les touareg pouvaient bien arrivés les premiers. Mais plus que deux camps, il y avait trois camps désormais et ce troisième était le pinceau du peintre noir.

Zerzura pouvait bien être trouvé : aucune affaire ne serait résolue. Et les hommes galopaient à leur perte avec frénésie. Le peintre finissait de disposer ses touches. Tout était prêt. Le pinceau épiait...

Zerzura.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant