L'Homme bleu ou Histoire d'une légende

Chapitre 12 - L'homme bleu captif (2)

On était au soir... Grandfort s'était assis à côté de Tarana sur le sable brûlant et observait l'horizon. Sans dire un mot. Ils étaient à la veille d'un grand départ pour l'oasis d'In Ecker car l'herbe venait à manquer ici pour les bêtes. Mais ce n'était pas cela qui les préocupait.

Le silence était beau et il disait tout. Dans ce pur paysage les mots n'avaient pas besoin d'être prononcés. Plus : ils auraient détruit cet effet doux et agréable. Alors se taire était la meilleure façon d'exprimer l'admiration, la paix et la joie qui habitaient les cœurs. Mais leur vue s'aiguisait et se perdait dans le lointain.

C'est ainsi qu'ils apperçurent vite un point se profilant à l'horizon. Un maigre point. Un homme. Curieux, tous deux se levèrent pour observer de plus près. Un homme seul. Tarana ferma les yeux et sourit : à moins que ce ne soit un émissaire adverse, ce ne pouvait être que l'homme bleu. Tarana et Grandfort sautèrent à cheval le cœur battant pour aller à sa rencontre. C'était Beauvey.

Épuisé, titubant, amaigri, sale mais digne dans sa faiblesse, il avançait à petit pas. Son ami, tout ému, le prit par le bras et l'installa sur le cheval avant de saisir fermement la longe. Cela faisait un mois qu'on ne l'avait plus vu et il faisait peine à voir.

- Nous avons commencé la révolte. Les trois principales tribus se sont alliées. Demain nous partons pour In Ecker. Le camp est en effervescence. Nous sommes organisés. Une tribu entraîne, l'autre s'occupe du camp, la dernière attaque. Pour l'attaque, nous avons commencé le blocus de Tamanssaret. Peut-être t'en ais-tu rendu compte...? Disait Grandfort.

- Le blocus n'est pas assez efficace, murmura Beauvey dans un scintillement du regard.

Surpris, son ami lui jeta un coup d'œil et s'apperçut combien il avait changé.

- Pourquoi dis-tu cela ? Murmura-t-il.

Mais l'homme bleu ne lui répondit rien et esquissa un sourire rêveur. Il regarda Tarana, puis le camp. Ils étaient arrivés.

Dans l'instant qui suivit, tous se pressèrent autour d'eux en équarquillant grandement les yeux. C'était un miracle ! Ce retour était un miracle !

Ce qui se produisait dans le cœur de ces touareg était étrange. Ils auraient pu rejeter ce chef qui leur arrivait si tard, l'ignorer ou le mépriser mais ils l'acclamaient ! L'homme bleu observait ce phénomène avec curiosité et amusement. En réalité sa légende avait maintenu son rêve dans leurs esprits. Et le temps, son absence, et le fait qu'il ait créé cette révolte avaient semé dans le cœur de ces hommes l'admiration et le respect. Étranges sentiments...

Et néanmoins, Beauvey sentait que tout n'était qu'un vernis qui, fugace, pouvait disparaître à sa première maladresse. Bien, il lui fallait détruire toute trace de méfiance.

Cela risquait de lui être difficile.

Ce soir-là ce fut fête pour son retour. On avait rassemblé les derniers vivres pour lui offrir un banquet digne de ce nom. Et la musique résonnait gaiement.

Tarana avait revêtu une jolie robe d'un bleu nuit et s'était placée juste devant l'homme bleu. Elle avait dardé son regard noir sur lui et avait commencé à danser. Belle... Beauvey ne la lâchait pas des yeux, hypnotisé. Elle-même ne pouvait pas se détacher de ses deux pupilles étincelantes. Le repas s'écoulait et Tarana dansait toujours. Alors l'homme bleu se leva et se tourna vers le désert. Il partit s'y cacher.

Et Tarana le suivit à petit pas...

- Que fais-tu ici, belle danseuse ?

- Je venais vous tenir compagnie.

- Alors fais quelques pas avec moi, sous les étoiles d'Abraham.

Il lui tendit galamment son bras pour qu'elle s'y pendît. Elle sourit.

- Je crois, murmura-t-il, que tu... Es merveilleuse. Mais...

- Mais ?

La voix était douce, un brin inquiète.

- Mais tu ne pourras jamais m'appartenir.

- Pourquoi dites-vous cela ?

- Parce que tu n'appartiens à personne.

- Au désert. Et à vous.

- Tarana, serais-tu prêtes à t'offrir dans ton entièreté, toute ton humanité, à un seul homme ? Et pour l'éternité ?

- Oui. À vous.

- Tarana ! Tarana ! Tu m'aimes ? Oh ! Non... Ne réponds pas tout de suite... Moi je t'aime. Maintenant dis-moi.

- Oui, c'est vous et nul autre.

- En es-tu sûre ?

- Parfaitement.

- Alors tutoies-moi.

Et l'homme bleu se tut, le cœur ardent. Il resta quelques temps encore songeur, réorganisant ses pensées et maîtrisant ses passions. Et dit :

- Laisse-moi, veux-tu ? J'ai besoin de solitude.

Il s'assit sur le sable lentement. Il réfléchissait à ce qui venait de lui arriver. Aux épreuves qu'il venait de traverser. Et souffrait seul. Lorsque le froid se fut infiltré sous toutes ses couches, jusqu'à atteindre son âme, Beauvey se redressa et rejoignit la tente qu'on avait mise à sa disposition.

Mais son sommeil fut troublé. Il revoyait Tarana danser avec ses yeux de sorcière. Puis son âme était comme happée par son passage à Tamanssaret et ce qui avait suivi. Cela le tourmentait terriblement. Il se réveillait, plein de sueur, et jetait un regard hagard vers l'entrée en murmurant "Tarana", et retombait dans un demi sommeil.

Au réveil, une sorte de pressentiment le conduisit fébrilement à la tente de la jeune fille.

Grandfort le vit entrer avec cette mine inquiète et sentit la jalousie le mordre : il se doutait bien que ces deux-là commençaient à éprouver de l'amour l'un pour l'autre. Il trouvait cela normal car ils étaient tous deux au-dessus du commun des mortels. Il était normal qu'ils s'allissent. Mais au fond de lui-même, il ne pouvait s'empêcher de ressentir cette piqûre.

Il les rejoignit hâtivement en se disant que rien ne l'empêchait de profiter de ses deux amis. Mais lorsqu'il entra dans la tente, il s'apperçut que Tarana n'y était pas et Beauvey était blême...

- On l'a enlevée, murmura-t-il en montrant le désordre inhabituel de la pièce.

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Maintenant que cette histoire est terminée dans l'écriture, je propose de publier un demi chapitre par jour (les parties sont courtes donc ca devrait aller...).

On va bientôt commencer le voyage, un voyage qui sera décisif et qui se terminera par Zerzura.

Bisou à tous et bonne lecture😘