Chapitre 17 - Escalade (1)

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Beauvey jeta un long regard à la rampe. Tarana lui prit timidement la main et la serra très fort. Elle tremblait. Il l'attrapa fermement par le bras et l'amena vers son torse pour lui redonner un peu de confiance.

- On y va ? Murmura-t-il à son oreille.

- Oui.

Ils étaient tous parés de cordes et de sacs légers, prêts à partir. Un seul restait pour garder les effets de tous les autres, que l'on avait cachés dans une grotte par précaution. Ils s'engagèrent sur l'étroite rampe en longeant le mur de la falaise, en file indienne.

C'était raide. Il ne fallut pas cent mètres pour que Tarana, en nage, suppliât pour une pause, qu'on ne lui accorda pas. En maints endroits, la roche s'effritait et, trompeuse, n'offrait pas le secours recherché par la petite équipe. Quelqu'un glissait alors avant de se rétablir par lui-même en tremblant.

La falaise s'étirait, longue, rejoignant les sommets du cirque. Comme des crénaux craquelés, les pics dressaient leurs remparts au monde extérieur. Trésor oublié des hommes, car inaccessible, et vieille demeure d'un ancien sage.

Chaque pas se faisait avec respect, crainte et admiration. Le cœur palpitant à la ferveur de ces tranquilles montagnes et les yeux miroirs de l'âme humides et scintillants. Le temps de regarder, le temps de profiter. Le Sahara ne connaît pas la rapidité. Le Sahara est long, pur et beau. Mais sa beauté ne se goûte qu'à travers le temps.

Les touareg et l'homme bleu se sentaient enfants, comme perdus par cette splendeur sorties de l'ombre. Leur marche en était ralentie, au même rythme qu'une procession.

Et c'était une procession, vers la cachette de Tarana, vers les secrets du Sahara. Le désert se mérite et ses secrets se doivent d'être implorés avec humilité. Pas après pas, les touareg suppliaient lentement le désert de leur offir Zerzura. Pas à pas, ils montaient la falaise.

Tarana avait fermé ses yeux et posé sa main contre la pierre de la falaise. Le contact rugueux faisait remonter en elle les souvenirs de son enfance. Tout son esprit en fut bouleversé, de sorte qu'elle se sentit basculer en arrière... Tendre jeunesse. Et à ses lèvres montaient un doux murmure, aux échos de prières.

Des djinns si malicieux,
Des enfants moqueurs,
Et des sorciers vicieux,
Petit n'ai pas peur.

Tant que je serais ,
Or et protecteur,
Ne t'effarouche pas,
Murmure à ton cœur.

Mes bras te bercent, enfant.
Mon souffle ranime.
Quand partiras au vent,
Je serais énigme.

- Je serais énigme...

Tarana sursauta lorsque cette voix grave répéta ces mots sacrés. L'homme bleu s'était mis à chanter lui aussi. Mais perdue dans ses pensées, la targuia ne l'avait pas entendu.

- Je serais énigme, répéta-t-elle.

- Ta mère te chantait cette berceuse ?

- Mon grand-père.

- Je la connais. C'est le désert qui parle.

- Qui fermait mes yeux. J'aimais cette berceuse mais elle appartient à ce lieu. Ce cirque.

- Le sentier se fait plus étroit. Concentre-toi et taisons-nous.

Mais il ne fallut que quelques secondes pour que Tarana, destabilisée par un soudain sursaut, glissât vers le vide. Effrayé, l'homme bleu voulut lui attraper le bras mais celui-ci glissa et la jeune fille tomba un peu plus.

Elle ne criait pas mais ouvrait de grands yeux terrifiés. Ses membres raidis cherchaient avec terreur des prises, mais en vain. Elle glissait et la montagne l'engloutissait. Et elle disparut du regard des touareg.

En haut, sur la rampe et consternés, l'on se regardait. Les cœurs tordus par un affreux sentiment d'incompréhension. Et l'on regardait la pente. Beauvey était incapable de réagir et ce fut un targui qui s'écria :

- Mais il faut envoyer quelqu'un pour aller la chercher !

Tous se tournèrent vers leur chef qui continuait de fixer la pente avec anxiété. Sur son visage s'agitaient de multiples expressions, qui bouleversaient chaque fois ses traits. De la rigidité, de l'effroi, puis un calme mystérieux, et de nouveau la terreur.

- Mass ! Mass ! Qui devons-nous envoyé ?

Comme il ne répondait pas et restait tétanisé, Meltiti, le pisteur, annonça d'une voix forte qu'il irait. Il se débarassa de tout ce qui l'encombrait pour ne garder que deux cordes. Il passa deux fois la première autour de sa taille, attacha solidement l'une des extrêmités à un arbustre, et commença à se laisser glisser le long de la pente raide.

Les autres s'étaient penchés de la rampe et surveillaient sa descente. Ils le virent disparaître derrière un buisson et réaparaître un peu plus loin. Un peu plus bas, un rocher l'offusqua tout-à-fait et les touareg redressèrent la tête.

Beauvey était toujours tétanisé.

C'est alors qu'ils entendirent un petit cri de surprise et que, curieux, ils voulurent tous aller voir. Mais pencher la tête en tous sens ne changeait rien : ils ne voyaient pas ! Ils ne pouvaient que percevoir une certaine agitation une vingtaine de mètres plus bas.

L'homme bleu s'agita alors. Il recula frénétiquement de trois pas pour se retrouver adossé à la muraille quelques mètres au-dessus des autres. Il leva les yeux au ciel mais la lumière trop crûe le blessa et il sursauta en portant son poing à sa bouche. Un soudain effroi l'avait pris, qui gagnait les autres touareg. L'angoisse serrait au cœur.

- Mass ? Mass ? Qu'avez-vous ?

Ses yeux brillèrent subitement. Une petite lueur passa, dangereuse. Comme une idée qui traverse l'esprit... Mais s'éteignit aussitôt, et il répondit durement :

- Rien. Meltiti remonte, préparez-vous à le recevoir.

- Mass ! Mass !

- Quoi ?

- On ne distingue pas grand-chose : il est loin. Mais... En fait je ne suis pas sûr.

- Alors taisez-vous.

Meltiti remontait rapidement mais à mesure qu'il approchait, son ascension ralentissait. Il fatiguait. À mi-parcours, l'un des touareg osa tout de même reprendre la parole, mettant les mots sur une angoisse qui n'avait cessé de croître au sein des membres de l'équipe :

- Mass... Meltiti...

- J'ai vu, coupa doucement l'homme bleu.

Silence, puis intonation curieuse de l'homme bleu :

- Pourquoi Meltiti remonte-t-il seul ?

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant