Chapitre 6 - Entrevues (2)

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- Cinq heures de Tamenssaret au Tanezrouft... Une heure jusqu'au Hoggar à bord d'un bon mehari. Je crois que ce qui m'impressionne le plus, c'est la vitesse des allées et venues de Beauvey. Quel point a-t-il bien pu choisir pour être rapidement entre ces trois points ? Et la tribu Imrad, j'allais oublié. Car il semble tourné autour d'elle. Abalessa... Abalessa est un oasis plutôt bien situé. À moins que... Silet ? Ou bien In Ecker ? Oh mon Dieu ! Beauvey, vous êtes partout !

Desespéré, le jeune lieutenant prit sa tête entre ses mains et l'appuya contre la table. Il fut pris d'un accès de colère et frappa violemment le bois du poing.

C'est à ce moment-là que le capitaine Albret frappa à sa porte pour l'inviter à déjeuner au mess. Surpris, Montbert se composa un visage neutre et se dépêcha de sortir.

- Capitaine, salua-t-il aimablement. J'espère que vous ne me tenez pas rancœur pour la place que je vous ai prise ?

- Je sais reconnaître la valeur et vous n'en êtes pas dépourvu, lieutenant.

- Capitaine...

- Je m'incline devant votre génie !

- Mais capitaine...

- Venez donc. Maintenant, vous ne faites plus partie du commun des soldats mais bien de l'élite de notre compagnie mehariste. Vous dînerez à la table du commandant, n'est-ce pas ?

- Que vouliez-vous me dire ?

- Eh bien non... Tout compte fait, et si cela ne vous dérange pas, nous dînerons tout deux en apparté. Cela vous va-t-il ?

- Mais certainement, répondit Montbert surpris du ton embarrassé de son supérieur.

Ils s'assirent sur une table à l'écart et Albret prit une petite mine de conspirateur. Le lieutenant fronçait des sourcils, inquiet.

- C'est Tarana, commença le capitaine la gorge nouée.

- Tarana ?

- J'ai failli à mon devoir, enfin à ce qu'il me semble. Tarana...

- Vous aussi vous l'aimez ?

- Et c'est pour cette raison que je lui ai demandé de fuir au lendemain de votre algarade avec Beauvey. Je l'ai suppliée de fuir. Le commandant a des soupçons...

Montbert garda un instant le silence, la tête vers son assiette. Il ne savait pas quoi répondre à cet acte qu'il jugeait de haute-trahison ! Mais finalement, il articula lentement :

- Que voulez-vous que je fasse ?

- Il vous a nommé à ma place parce qu'il n'avait plus confiance en moi. Alors...

- Je ne vais pas vous rendre une place que le commandant Vermet m'a cédée ! Ce serait absolument absurde !

- Évidemment, mais... Si vous pouviez influencer le commandant sur ses projets sur moi et lui dire que vous avez besoin de moi, même comme subalterne, dans votre section, vous savez que je vous en serais reconnaissant.

Montbert avait arrêté de manger et s'était immobilisé, fourchette en main, yeux équarquillés sous la surprise et bouche entrouverte. Il resta bien quelques secondes ainsi avant de secouer la tête, tout décontenancé :

- Excusez-moi de ce moment de surprise. En réalité, je ne m'attendais pas du tout à cela ! Je... Je ne sais pas si cela se fait. Je veux dire, vous êtiez mon supérieur et, même maintenant où je suis détaché de tout corps, cette hierarchie reste. Hier encore j'étais le prisonnier et vous le chef. Et maintenant...

- Vous voyez... Je suis prêt à m'humilier. Mais allez voir le commandant !

- Capitaine ! Capitaine... Pourquoi ?

- Je dirai que c'est pour reprendre du service parce qu'ici je m'ennuie ; et que je veux pouvoir être fier de mes actes pour la France !

- Pourquoi ?

- Pour Tarana.

- Ce n'est pas d'amour qu'est pris votre cœur mais d'un puissant sortilège.

- Et qu'importe ! Tarana, vous dis-je. Le ferez-vous ?

- Oui. Mais c'est une bien étrange requête que vous me mandez-là.

- Peu importe ! Tant que vous le faites.

Albret avait une mine triste et sale. Il se leva doucement, le regard rêveur et ailleurs, et murmura :

- Alors je vais y aller. Je vais y aller. Ce sera bien, très bien même. Oui très bien.

Le cœur serré, Montbert l'observait s'en aller, mais lui ne bougeait pas. Un sortilège ! Oh il n'y avait que de pareilles choses qui pouvaient transformer un honnête homme en... Épave. Et c'était navrant !

Le jeune lieutenant resta quelques temps encore assis, perdu dans ses pensées. Il ne le voyait pas mais tout le mess avait les yeux rivés sur lui. Son charisme et sa silencieuse solitude fascinaient. Alors, après ce petit apparté avec Albret, les officiers cherchaient à deviner ses pensées sur les traits du jeune lieutenant. Et l'on murmurait, chuchotements et bruissements dans la salle... Même le commandant avait le regard tourné vers lui, vaguement intrigué. Mais comme Montbert ne bougeait pas, l'on se lassa.

Vers le soir, le jeune lieutenant vint trouver Vermet et lui exposa la requête de son capitaine. Il mit de l'adresse dans son discours et sut se montrer persuasif. Le commandant, quoique surpris, finit par accepter et il fut décidé que le capitaine seconderait Montbert dans les expéditions en tant que maître carte.

Le lieutenant se retira satisfait. Il se demandait cependant interieurement comment marcherait ce duo car le capitaine avait une étrange personnalité, rêveuse et sanguine tout à la fois. Mais il ne s'attarda pas plus sur le sujet : l'heure commençait à se faire avancée.

Après un dernier coup d'œil à ses cartes et un léger froncement des sourcils, Montbert se coucha et chercha le sommeil. Mais le repos, plutôt que d'arriver, parut disparaître tout à fait. Une bizarre angoisse envahit son cœur comme une vague et le submergea tout entier. Il avait comme un vide en lui, et se sentait parcouru de frissons. Par moment, un peu de sueur ruisselait de son front moite. Ses mains tremblaient. Il se sentait mal.

Il était dans un demi-sommeil, parfois réveillé, parfois somnolant. Mais lorsqu'il sombrait dans la léthargie, de curieux rêves l'envahissaient, chaque fois plus effrayants.

Ce furent d'abord des cris, une poursuite, une foule de touareg amassée aux portes de Tamanssaret et brandissant sabres et visages menaçants. Les soldats français sortaient sur leurs montures et en faisaient un massacre. Du sang à terrifier les plus preux. Montbert gémissait en ce retournant sur sa couche. Il se réveilla légèrement.

Mais en replongeant dans la nuit, les rêves se transformèrent réellement en cauchemars car cette fois le lieutenant se trouvait seul. Et des visages connus et grimaçants s'approchaient de lui dans des hurlements indescriptibles. Et le froid l'engourdissait. Il avait si peur. Il claquait des dents.

Une main se posa sur son épaule :

- Mon lieutenant, il faut y aller. Le commandant vous attend pour vous rendre dans la tribu touaregue.

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La photo a été prise par moi lors d'un voyage fait pendant ces vacances de Noël. Attention : ce désert n'est pas du tout celui du Sahara !!!!

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant