Chapitre 24 - La fin de l'homme bleu (2)

22 3 27
                                    

- Que voulez-vous dire ?

L'homme bleu regardait Montbert et Albret descendre la dune mais s'adressait aux touareg, tout en avançant parmi eux :

- Vous croyiez que je n'avais aucun sentiment patriotique ? Que mon âme pouvait facilement être volée par le premier sentiment venu ?

Son regard dur se fixa soudainement sur Albret. Le capitaine frémit mais continua de descendre.

- Capitaine.

Il redressa le menton.

- Capitaine.

Albret se sentit plus faible en même temps qu'un grand embarras l'envahissait.

- Capitaine, j'ai empoisonné Tarana.

Sursaut de tous et stupeur ! Tout le sang se retira du visage d'Albret dans une froide colère. Il sentit un coup violent lui tordre le ventre et ses membres s'engourdir.

- Je l'ai empoisonnée. Et elle est morte.

Les tremblements du capitaine s'accentuèrent. De la pâleur, son visage vira au rouge cramoisi. Des vagues de passions malmenaient ses traits. Il serrait les poings très fort mais se contenait encore.

- Elle est morte, répéta l'homme bleu en se mordant durement la langue pour étouffer ses sentiments encore douloureux.

Tout le malheur du monde n'aurait pas pu changer l'horreur de sa mort. Ces mots déchiraient son cœur mais ils étaient nécessaires.

Mais ces quelques paroles réveillèrent définitivement Albret. Le plus passionné des hommes présents dans cet oasis. Il dégaina son sabre pour se jeter sur l'homme bleu impassible. Montbert, d'un mouvement prompt, arrêta son bras :

- Ne fais pas ça ! Ce traître mérite cent fois pire que cette mort rapide.

Les touareg étaient effrayés. Ils commençaient à comprendre qu'ils étaient tombés dans un abominable piège. Leur joie vive quelques instants auparavant passa au sentiment contraire en un tour de baguette magique. Tous les regards s'étaient faits haineux vers cette silhouette bleue.

- Mais tuez-le !

- Il a empoisonné Tarana !

- Tuez-le !

- Non.

Montbert, glacé par la terreur que lui inspirait ce personnage qu'il devait protégé, gardait son sens accru du devoir.

Mais Albret, blessé dans ses passions et furieux du geste de l'officier français, retourna sa colère contre lui, fit pivoté son sabre vers le lieutenant et lui transperça l'épaule et la poitrine. Le mouvement avait été rapide et surpris tout le monde. Même le capitaine.

- Capitaine... Gémit Montbert en sentant ses jambes ployer.

Lui ne répondit rien et resta quelques instants hagard, bouche ouverte et yeux révulsés. Ce geste l'horrifiait et le terrifiait lui-même. Montbert s'affaissa à terre et cet écroulement fut le signe pour Albret qui se retourna.

L'homme bleu avait un visage extrêmement dur et noble. Les deux s'affrontèrent longuement du regard jusqu'à ce qu'Albret sentît ses passions s'affaiblirent tout à fait.

- Si tu le tues, murmura Montbert d'une voix faible, tu es un homme mort Albret.

- Beauvey vous êtes en état d'arrestation.

***

Quelques jours passèrent... Grandfort attendait toujours, à l'entrée du Tanezrouft, que son ami revînt victorieux. L'impatience grandissait rapidement en son cœur et pourtant rien ne se passait. Il dut attendre longtemps et même plus d'un mois.

L'angoisse atteignait alors son apogée. Il ne savait plus comment réconforter ses troupes, qui avaient rejoint leur famille, inquiètes pour leur avenir. Et puis... Toutes expéditions étaient proscrites. Le temps passait trop long et rien n'arrivait. Pourquoi ?

L'Amenokal vint trouver celui qui devenait peu à peu son ami. Les deux hommes commençaient mutuellement à éprouver une réelle estime et aimaient recourir à l'avis de l'autre.

- Ton ami ne revient pas... Que faut-il penser ?

- Ce fait me torture l'esprit depuis plusieurs jours. Vous me direz quelle est l'hypothèse qui vous semble la plus juste.

- Je ne le connais pas.

- Mais vous savez la science des caractères.

L'Amenokal acquiesça et son interlocuteur reprit :

- Peut-être que la caravane s'est perdue ou n'a pas pu atteindre l'oasis avec leurs réserves d'eau et est décédée deshydratée.

- Tu sais que ton ami ne fait pas des erreurs de cette sorte.

- C'est l'hypothèse qui me semblait la moins plausible. Peut-être que les français ont rattrapé les touareg et que les deux se sont entretués. Cela me semble également incohérent car ils auraient plutôt attendu Zerzura. Ce qui m'amène à l'hypothèse suivante : ils se sont combattus à Zerzura.

- Nous nous y attendions depuis le début...

- Aussi, ou l'homme bleu est sorti vainqueur. Mais alors où est-il ? Ou il a perdu. En réalité, Beauvey a un comportement étrange depuis quelques semaines... Il dit vouloir la gloire mais il n'a pas choisi de mener la révolte.

- Il est parti pour Zerzura... Le mystère de l'oasis l'aura troublé.

- Un mystère à percer ne demande pas une telle énergie. J'ai... J'ai peur que ces autres intentions... L'aient conduit autre part.

- Mass Grandfort... Les touareg de la caravane reviennent.

Les hommes étaient sains et saufs. Épuisés et sans chef. Ils gardaient dans leur esprit les images de Zerzura. Ils gardaient en tête l'homme bleu. Et ils gardaient en leur cœur le sentiment poignant de trahison. Zerzura avait paru synonyme de réponse. Mais là où le mystère s'était effrité, un autre plus sombre apparaîssait.

- L'homme bleu a trahi. L'homme bleu a tué Tarana. Zerzura est maudit. Le règne des touareg est terminé. L'homme bleu a trahi.

"Il faudra que l'étoile
Descende sur le sable
Et que l'air détestable

Se couvre d'un doux voile.

Il faudra que l'azur
Pose un pied dans l'eau claire
Et que l'or mue en vert,
Estompant la brûlure.

Il faudra que les rires
Sonnent comme des larmes.
Il faudra que les armes
Résonnent, pour écrire.

Les chansons et les rêves,
Les légendes et les mythes,
La maison troglodyte,
Effacés par la trève."

L'étoile, l'homme-miracle, était descendu dans le Sahara alors que la situation politique s'envenimait. L'azur, l'homme bleu, avait posé un pied dans l'eau claire, tâche de verdure dans cet or saharien aux brûlures mortelles. Et ce fut alors que les français apparurent, apportant armes et larmes. Et les chansons, les rêves, la cachette du sage du Hoggar... N'annonçaient en réalité que cette trahison du dernier espoir du Sahara. La trève avait tout effacé. L'homme bleu n'était pas l'homme bleu. Mais le français, le patriote, Beauvey. Alors pourquoi ?

- Il semble, murmura Grandfort, que le mystère que nous poursuivions depuis le début n'était pas Zerzura mais notre homme bleu. Notre quête de réponse n'est donc pas terminée. Mais la résistance est morte. Et moi je dois me rendre.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant