Chapitre 3 - Zerzura (1)

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Tarana dormit toute la journée. Elle gémissait dans sa tente en se tournant et se retournant en proie à d'affreux cauchemars. Elle se tordait les mains et mordait jusqu'au sang sa lèvre inférieure. Ses pieds tapaient violemment contre le sol, comme pour évacuer la fièvre. Par moment, elle se réveillait brusquement, brûlante de fièvre et tout en poussant un affreux cri de détresse. Elle restait à haleter quelques instants, le regard fixe et terrifié, l'âme bouleversée. Puis elle replongeait dans un sommeil tourmenté, grimaçante de douleur.

Elle voyait la chaleur se poser sur ses membres et l'enflammer. Elle brûlait vive, comme une torche, entourée par une foule hurlante et abominable. Des visages contorsionnés par une haine effroyable et qui la menaçaient du poing tout en esquissant autour d'elle une danse sauvage.

Mais soudain venant du désert, un oiseau bleu s'approcha et la détacha de ses griffes. Elle fermait les yeux. Il se planta devant elle jusqu'à lui faire comprendre qu'il souhaitait qu'elle grimpe sur son dos. Ils s'envolèrent au-dessus des huées et l'oiseau bleu survola le désert. Tarana se sentait glisser vers le sable incandescent mais chaque fois l'oiseau bleu la redressait d'un petit coup de bec piquant.

Tout était flou mais la jeune fille crut comprendre qu'ils arrivaient aux montagnes du Hoggar. Des pics rocheux et menaçants se dressaient de partout et chaque fois Tarana croyait voir sa fin arriver en évitant de justesse l'un de ses pics. Elle criait dans le vent et l'oiseau accompagnait son cri vers les nuées. Son cœur battait à rompre.

Mais l'oiseau bleu la déposa au sommet d'une montagne et la laissa au sol reprendre son souffle pendant quelques instants. Elle était terrifiée, absourdie. Mais lorsqu'elle redressa sa tête, elle apperçut un homme à la place de l'oiseau. Entièrement vêtu de bleu. Un homme bleu.

Tarana se réveilla cette fois-ci definitivement. Elle sentait une sorte de malaise au fond de son cœur et ne savait pas comment s'en défaire. Des bribes de son rêve lui tournait dans la tête. Elle revoyait les flammes, l'oiseau, le vol, les montagnes... Elle revoyait l'habit bleu de l'homme. Mais elle ne se souvenait pas de ses traits. Elle chercha longuement à s'en rappeler, en vain.

Alors, elle gémit et se redressa tout à fait. Ses cheveux en fouillis tombaient devant ses yeux et frémissaient au rythme de sa respiration irrégulière. Tous ses membres tremblaient et quelques larmes avaient jailli de ses pupilles. Elle tentait de reprendre contenance.

Prenant sur elle-même, elle se leva, s'habilla en quelques mouvements et remit de l'ordre dans son visage. On était au soir et elle avait dormi toute la journée. Elle hésitait à sortir mais une pensée l'y décida :

- Il me faut aller voir l'Amghar. Il m'expliquera ses paroles de ce matin, car je n'ai pas tout compris.

Elle vint donc trouver le chef de tribu, assis devant sa tente en compagnie d'autres touareg. Il paraissait en grande discussion et elle hésita de nouveau quand il l'apperçut :

- Tarana ! Viens donc te joindre à nous. Ce qui est dit pourrait t'interesser.

Elle salua gentiment et s'assit sur le sol en tailleur. La conversation tournait autour de la sécurité de la tribu dans cette région.

- Tarana, lui expliqua brevement l'Amghar, le commandant Vermet demande à toutes les tribus touaregues une allégeance. Mais nous refusons car nous ne voulons pas payer d'impôts...

- Et nous sommes un peuple libre ! Intervint un targui. Les imrads Taitoq ne doivent obéissance qu'aux Imajeghens Kel Ahaggar de l'autre côté du Tanezrouft !

- Evidemment, poursuivit le vieux chef, tu te doutes bien que nous avons refusé. L'armée française n'a pas du tout apprécié. Elle a envoyé un escadron pour nous obliger par la force. J'ai persisté dans mon refus. Et...

Il se tut, tout en se mordant les lèvres pour marquer son embarras. Un autre prit la parole et murmura d'une voix blanche :

- Ils ont décidé de nous laisser réfléchir quelques semaines... Et... Pour nous aider dans nos tergiversations, ils ont pris trois otages.

Il y eut de nouveaux un blanc avant qu'un troisième homme ne vienne compléter :

- Ce fut dur. A suivi une grande période d'abattement. Puis ils sont revenus. Nous avons eu de grands débats. Mais nous tenions à notre indépendance. Alors, et cela déchirait notre cœur, nous avons dit non. Ils ont pris d'autres otages. Sans doute, tous ont-ils été fusillés. C'est atroce mais que devons-nous faire ?

Tarana resta longuement silencieuse à méditer ces paroles. Effectivement, ils y avaient une lourde décision à prendre. La tribu s'était déjà reculée au plus loin de son territoire, près du Tanezrouft. Fallait-il maintenant céder à la pression de l'armée qui espérait un territoire unifié et français ? Ou bien... Déclarer la guerre ?

- Qu'ont fait les autres tribus ? Avez-vous pensé à une alliance ?

- Eh bien... Les autres tribus autour de Tamenssaret se trouvent dans la même situation délicate que nous. En réalité, elles attendent de voir comment réagissent les autres pour suivre le mouvement.

- Il est important, ajouta un jeune targui, que nous fassions corps et que nous oublions nos vieilles querelles. Nos Imgharen sont sages et l'ont parfaitement compris. Mais toi, Tanara, qui a longtemps vécu chez eux... Que peux-tu dire ?

- Ils sont... Je dirais qu'ils sont ambitieux, fiers de leur pays et impulsifs. Mais c'est presque une carricature car certains sortent du lot. Attendez-vous à ce qu'ils ne lâchent pas votre affaire. Néanmoins vous devez avoir les moyens de les battre si vous vous alliez tous ensemble. Mais je vous préviens : vous douterez parfois d'être sur le bon chemin. Qui est l'ennemi ? Réfléchissez bien aux valeurs qui vous semblent les plus importantes et ne faites plus marche arrière. Je dois ajouter deux choses...

Elle fit une pause pour observer son auditoire. Tous étaient suspendus à ses lèvres, le cœur battant.

- Un soldat, un lieutenant, s'est enfui il y a deux jours dans le Tanezrouft. Il pourra, je pense, vous aider lorsqu'il reviendra, guéri de ces passions.

- Nous savons, dit un targui. C'est l'homme bleu.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant