Chapitre 5 - Les feux du désert (1)

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Tarana s'était réveillée sous un soleil déjà fou. En se redressant, elle s'apperçut que sa djellaba s'était remontée dévoilant ses mollets maintenant brûlés par la chaleur. Elle voulut se lever mais comprit dans l'instant que ce serait difficile à cause de sa brûlure. Elle tapa contre le sable pour marquer sa colère et laissa couler quelques larmes. Puis, en se penchant vers son mehari, elle s'aperçut qu'elle n'avait pas d'eau. Quelle écervelée !

Malgré sa brûlure, elle se leva brusquement et rangea ses affaires en claudiquant. Maintenant il lui fallait absolument rentrer, et même au risque de se faire prendre, car rester en ce désert maudit pouvait la tuer.

Elle grimpa sur le dromadaire en tirant sur ses bras et les yeux pleins de larmes. Las, c'est alors qu'elle se rendit compte qu'elle ne savait même pas où elle était. Furibonde au possible, elle talonna vivement sa monture et décida de s'orienter par rapport au soleil.

- Et ensuite, je trouverai bien quelqu'un pour m'accepter ! Je ne suis pas si maudite, non ? Manarf ! J'en ai assez des hommes ! Qu'ils soient tous maudits, eux ! Que le sable les engloutisse et que le soleil les dévore ! Je veux que tous ceux qui m'ont trahi périsse à leur tour...

Elle criait et sa voix fondait dans la chaleur. Mais qu'importe, elle criait ! Inconsciente du danger que cet échauffement pouvait lui procurer. Ses traits s'étaient tirés. Ses beaux cheveux dressés au-dessus de sa tête. Ses yeux luisaient sauvagement. Et pourtant... Elle gardait son envoûtante beauté.

Épuisée par ses cris et la chaleur, assoiffée, affamée, elle s'affaissa sur l'encolure du mehari et se laissa guider par l'instinct de l'animal. Elle avait perdu toutes nuances du danger et poursuivait son chemin, ballotée régulièrement. Le jour continuait sa course. Le soleil tapait toujours. La sorcière brûlait, rejetée par les siens, cauchemardant du réel. Et vint le moment où le mehari s'arrêta. Tarana glissa à terre.

Petit paquet de tissus en boule, perdu dans l'immensité sableuse. C'était presque la fin.

Dans un sursaut de lucidité, la jeune fille se redressa et se traina, longe à la main, vers l'horizon. Sa brûlure n'avait jamais été aussi vive mais elle l'avait oubliée. Elle concentrait tous ses efforts, toutes ses pensées à sa survie. Et elle avançait... Elle avançait. Elle chancelait, trébuchait, titubait. Elle tomba.

Cette fois-ci, elle ne voulait même plus poursuivre. Elle avait donné toutes ses dernières forces pour répondre à son instinct de survie. Elle s'y était accrochée avec un désespoir évident. Mais désormais, elle n'avait même plus la volonté de poursuivre.

Pas d'amis, pas d'amour, pas de soutien, pas d'appui, pas de foyer. La nomade échouait ici, dans la fièvre du feu saharien. Elle s'était perdue. Maintenant, elle se sentait mourir. Elle lâcha tout.

Le jour passa en la consumant doucement. Son mehari s'était agenouillé à ses côtés, souffrant tout autant qu'elle de la soif. Et les heures étaient longues.

Et l'homme bleu.

C'est par cet acte que l'homme bleu commença sa réputation légendaire de salvateur. Cette targuia bafouée fut la première à qui il accorda son attention en revenant vers les bordures du Tanezrouft.

Intrigué par ces deux points dans le lointain, il vint jusqu'à elle et découvrit la pauvre fille agonisante. Il passa outre sa propre soif pour donner à elle et à son mehari ses dernières gouttes d'eau. Il attacha ensuite les trois mehara ensemble et attacha Tarana sur le dos du premier avant de reprendre sa route.

Vers le soir, lorsque la fraîcheur revint et dans l'ombre d'un oasis, la jeune fille retrouva quelques forces jusqu'à se relever. Tout d'abord, elle se crut dans l'au-delà et son visage s'éclaira de plaisir. Mais ensuite, elle prit conscience de l'homme, debout, à côté d'elle, et qui l'observait. Elle sursauta :

- Qui êtes-vous ?

- Tu me connais pourtant, répondit-il doucement après un instant de silence.

- Le lieutenant Beauvey ?

- J'ai ouï dire que les touareg m'appelaient l'homme bleu.

- C'est exact.

Après un second silence bref et gêné, Tarana murmura :

- Merci. Que voulez-vous que je fasse pour vous, car voici la seconde fois que vous me sauvez ?

- M'instruire. Tu connais Zerzura ?

- Je sais comment découvrir son emplacement car ce secret appartenait à mon grand-père.

- Me le diras-tu ?

- Pour qui êtes-vous, lieutenant Beauvey ?

- Je ne suis pas pour l'armée.

- Pour nous autres, les touareg ?

Comme il hochait la tête, la jeune fille poursuivit timidement :

- Alors je vous le dirai. Mais il faut auparavant que vous méritiez ma confiance. J'aurais besoin d'une protection.

- Et vous l'avez, douce dame.

Sur ces paroles, l'homme bleu lui tendit un morceau de pain et de l'eau. Tarana s'en empara avidement sans même remercier. Beauvey se leva lentement et marcha jusqu'au découvert des palmiers. Il mit sa main sur son front et sourit. La targuia ne remarqua d'abord pas son manège. Mais comme l'homme ne bougeait pas, elle fut piquée de curiosité et vint le rejoindre.

Elle était encore fragile, il la laissa s'appuyer sur son bras. Puis il pointa un doigt vers l'horizon et murmura :

- Choûf ! C'est Grandfort. Mon ami.

- Que faisait-il ?

- Il vient m'apporter assez de viandes et d'eau pour tenir quelques jours. Je te le présenterai.

- Y aura-t-il pour moi, demanda-t-elle d'une petite voix têtue ?

- Nous irons chercher, lorsque nous manquerons. Tu peux faire confiance à Grandfort.

- Oui.

Après un petit moment où, songeuse, elle avait regardé les points au loin grossir lentement, la jeune fille s'interrogea :

- Vous auriez dû être mort. Et il vous restait tout de même de l'eau pour moi. Ce n'est pas possible.

- Eh bien je suis vivant.

- Et en bonne santé, il paraît. Comment avez-vous fait ?

- C'est par le sacrifice que l'on forge sa personnalité.

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Choûf : Vois
Manarf : J'en ai assez

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant