Chapitre 20 - Hierarchie des grands (1)

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Tamanssaret se remettait doucement des péripéties qui l'avaient secouée. Les caravanes recommençaient timidement leurs allées et venues et tous les villageois s'étaient mobilisés pour nettoyer la ville et lui redonner sa splendeur passée.

Malgré tout, le siège avait laissé ses traces. On était fatigué. On était triste. L'économie morte. Plus rien.

Dans le fort, les militaires s'activaient pour tout ranger, tout nettoyer. Mais on sentait un dégoût de cette ville. Ces quelques semaines forcées dans Tamanssaret avaient apporté un air désagréable au désert. Les murmures s'accentuaient.

Vermet, seul dans le luxe de son bureau  tournait comme un ours en cage. In Salah avait appelé pour manifester sa colère et il ne s'en remettait pas.

"Incapable de détruire une résistance touaregue, vous mettez la colonie algérienne en péril. Les nerfs sont à fleurs de peau au gouvernement. Il y a déjà de nombreux soucis ! Et vous en rajoutez ! Imbécile ! Vous êtes prié de vous rendre à Alger lundi prochain. Imbécile !"

Vermet n'avait rien à repondre à ces tranchantes paroles. Malheureusement, c'était toute la vérité. Vermet ne trouvait pas d'excuses.

Alors il fulminait.

En réalité tous ses espoirs tenaient en une chose, une possible réussite... Et si elle échouait, ce serait la chute assurée.

En sortant dans la cour pour un rassemblement, le commandant fut surpris d'attraper des regards noirs. Après brève réflexion, il se dit qu'on lui en voulait encore pour la sévère autorité qu'il avait lors du siège.

Et maintenant ? Maintenant que le fort était libre ? Que faire ?

Il n'était plus nécessaire de pourchasser les tribus Kel Ahaggar : elles s'étaient soumises temporairement. Il n'était plus nécessaire d'explorer ce bout de territoire : il ne restait que Zerzura. En réalité, il n'y avait que quelques petites missions inachevées durant lesquelles la grande majorité des compagnies présentes resteraient inactives.

Le commandant décida de ne rien montrer de son embarras.

Mais un événement pour le moins étrange vint troubler la trop tranquille journée qui s'annonçaient. Un mehariste franchit les portes de la ville et parvint au camp, épuisé. À son allure, Vermet devina immédiatement qu'il avait beaucoup voyagé et...

- Je viens de la caravane du capitaine Albret et du lieutenant Montbert, murmura-t-il en descendant de son mehari.

Le cœur du commandant fit un bond. Il ne put retenir un franc sourire éclairer son visage, mais reprit tout aussitôt son air dur pour ordonner :

- Mets une tenue plus présentable et retrouve-moi dans mon bureau.

Glacé, le soldat jeta un coup d'œil à sa tenue rendue crasseuse par le voyage et salua sèchement. Les autres soldats présents dans la cour le regardèrent d'un air apitoyé mais il n'y prit pas garde et courut se laver.

- J'ai soif, murmura-t-il pour lui-même en se rendant chez le commandant.

Il frappa doucement à la porte du bureau et sursauta en voyant la porte s'ouvrir aussitôt.

- Viens, lui dit simplement Vermet.

Et il l'entraina sur le chemin de ronde, en haut des remparts.

- Tu viens de la part du lieutenant Montbert et du capitaine Albret.

- Oui.

Le oui retomba dans un silence. Vermet fronça des sourcils et s'écria :

- Mais parle !

De nouveau, le soldat sursauta et jeta un regard terrifié à son commandant. Il se mordit la lèvre inférieure avant de commencer un long monologue où les mots s'entrechoquaient :

- Les deux caravanes sont parvenus aux montagnes du Hoggar. Mais un éboulement les a séparé. Le lieutenant a dit que l'homme bleu nous avait repéré et que nous n'étions pas suffisament discret. Mais bizarrement, aucun autre accident n'est venu perturber notre filature. Alors nous avons continuer et sommes parvenus dans un grand cirque. Les touareg grimpaient déjà le long d'une rampe vers l'un des sommets les plus élevés. La grotte. Il semble qu'ils aient eu un soucis : Tarana est tombée et n'a pu poursuivre. Puis le capitaine, en pointant sa lunette vers l'un des sommets, a noté une silhouette bleue qui observait la vallée. Seul l'homme bleu est parvenu à la grotte. Puis nous y sommes allés. Pour atteindre la grotte, il fallait escalader un gros rocher. Seul le lieutenant Montbert y est allé. Il est revenu en disant qu'il n'y avait plus rien. Plus rien à part des objets comme celui-là qu'il m'a chargé de vous montrer.

Le soldat essouflé fit une pause et sortit de son sac un plat de cette curieuse pierre volcanique. Vermet le saisit pour l'osculter attentivement.

- Il n'y a aucune inscription, s'étonna-t-il !

- Le lieutenant en a déduit que ces objets n'avaient pas de rapport direct avec Zerzura. Tous ce qui avait trait à l'oasis a certainement été récupéré par l'homme bleu. Alors il a décidé que nous poursuivrons notre filature, telle que nous l'avions commencée. La caravane de touareg file vers le Tanezrouft. Elle file vers Zerzura, mon commandant !

Mais le soldat ne put en dire plus car une tomate vint soudainement éclabousser l'uniforme de Vermet. Surpris et rouge, celui-ci jeta un regard à la rue plus bas, de l'autre côté des remparts d'où ils se tenaient. Mais il n'y avait personne.

- Mon commandant ! S'écria le soldat avec inquiétude et embarras. Qui vous a fait cela ? Pourquoi ?

- Les villageois n'ont pas digéré les mesures draconniennes que j'ai été forcé de prendre lors du siège de Tamanssaret. Mais c'est la première fois qu'ils m'atteignent de cette façon... Je vais t'avouer que je suis surpris, et furieux !

Ils redescendirent prestement vers le bureau du commandant pour qu'il se change. La stupeur et une forme d'incompréhension marquaient les traits de Vermet. Il se promit en lui-même de faire payer cher à tous les habitants de Tamanssaret cet affront, mais de taire l'injure faite.

- Les touareg n'ont pas compris que je n'avais pas le choix. Garde le silence sur cet incident, compris ?

Tressaillant, le soldat acquiesça.

- Continue, ordonna le commandant d'une voix glaciale.

- Le... Le...

Le jeune homme ne parvenait pas à ordonner ses pensées mais il lacha finalement tout-à-trac :

- Le lieutenant ne cesse de répéter que dès qu'il en aura l'occasion... Il agira plus sérieusement. Le lieutenant a les yeux qui brillent fièvreusement et on attend qu'il agisse.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant