Chapitre 23 - La tombe du désert (1)

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L'homme bleu tenait toujours le corps de Tarana entre ses bras. Il hésitait à l'abandonner. Ainsi, il avait l'impression de la protéger encore. Mais Meltiti comprenait bien que cela n'était pas bon. Il dit, en s'attirant les foudres de son chef :

- Il faudrait la laisser, mass.

- Non.

- Cela ne se fait pas, mass.

L'homme bleu lui jeta un long regard à la fois dégoûté et terrifié avant de se retourner :

- Arrêtez la caravane. Nous faisons une pause exceptionnelle pour... Tarana.

Nul n'était encore au courant de sa mort aussi lorsque les touareg virent leur chef descendre de son mehari, poser la targuia sur le sable et la recouvrir de son voile, des cris fusèrent :

- Elle est morte ?

- Morte !

- Nous sommes maudits. Ils faut fuir et vite !

- Une sorcière, une princesse ne peut pas mourir !

Mais l'homme bleu, le cœur lourd et près d'exploser en sanglots, leva son bras pour leur demander de se taire. Et il s'écria :

- Tarana est morte ! Oui cette mort est surprenante et maudite. Maudite car nous avons un traître en notre sein. Un traître !

Cette fois-ci, sans soucis de virilité, l'homme bleu sentit glisser le long de sa joue quelques larmes. Mais au mot de traître, il n'avait pu se retenir de jeter un coup d'œil à Meltiti et l'avait vu blêmir soudainement.

- Surprenante, car nous l'adorions tous. En réalité, c'est la plus belle et rude leçon que le désert puisse nous donner : nous nous imaginions des droits sur cette belle targuia. Elle n'appartenait à personne sinon au désert. Aussi nous la lui rendons.

L'homme bleu ne pouvait pas tenir plus longtemps. Il devait bouger et s'éloigner de cette présence si douloureuse. Un dernier signe de croix, car bien qu'elle ne croit pas au ciel lui était chrétien. Et il monta sur son mehari.

Meltiti s'étonna :

- On ne l'enterre pas ?

- Non, rétorqua l'homme bleu d'une voix sèche. Regarde les dunes...

Il y avait beaucoup de vent et les dunes ne cessaient de se déplacer. Le désert se chargerait lui même d'engloutir sa sorcière.

- Mass...

- Tu ne pourrais donc pas te taire ? Non ? Tu ne vois donc pas combien je souffre ? Imbécile et homme sans jugeote ! Oh mais laisse-moi... Laisse-moi...

Tous avaient entendu ces cris. Le malaise n'avait fait que s'accroître et plus encore lorsque l'homme bleu lança son mehari au galop pour se retrouver devant, seul.

- Cette mort est bien trop douloureuse pour mon âme de mortel et menace dangereusement de briser le voile de légende que je cherchais à créer. Oh mais je l'aimais ! Je l'aimais trop cette ensorcelante sorcière ! Elle avait des yeux, une bouche, des doigts qui brisaient toutes les barrières des cœurs des hommes et nous rendaient esclaves à ses pieds. Pourquoi a-t-il fallu qu'elle dardât ses pupilles sur mon âme ? Et que son cœur donné au désert se déchirât pour moi ? Moi ! Oh... Je voudrais tant avoir des pouvoirs pour te ressuciter. Mais je ne peux pas. Peux pas. Je ne peux qu'espérer dans l'au-delà.

"Et lui ? Meltiti, si c'était lui pourquoi ne me le dit-il pas ? Pourquoi reste-t-il ici à me narguer de sa voix nasillarde ? Pourquoi n'ai-je pas de preuves ? Je ne sais plus quoi faire de lui..."

Inconsciemment, l'homme bleu s'était retourné pour l'observer. Lui fixait son chef avec insistance et une certaine forme de dégoût qui terrifia le français. Et soudain Meltiti lança son mehari au galop pour le rejoindre.

Parvenu à ses côtés, il s'écria :

- Vous croyez que je suis le traître... Mais ce n'est pas moi. Oui je suis le seul à avoir voyagé et ne pas être resté dans une même tribu toute ma vie. Je connaissais Tarana avant. Mais ce n'est pas moi. Pas moi.

L'homme bleu ne répondait rien et gardait les yeux durement fixés droit devant lui.

- Oh et puis j'en ai marre, dit encore Meltiti. Ce soupçon que vous laissez planer au-dessus de ma tête, votre humeur bougonne qui a remplacé la confiance que vous me portiez autrefois... Soit ! Je quitte le groupe.

L'homme bleu sursauta et posa enfin son regard vers lui.

- Oui je quitte le groupe. Je pars.

- Tu pars ?

- Maintenant. Vous expliquerez aux autres.

- Meltiti... Où iras-tu ?

Le ton s'était fait plus doux mais restait détaché. Plus que de le réconforter, ces quelques mots glacèrent encore plus le targui.

- Et que vous importe !

Le jeune homme avait toutes ses affaires sur le mehari. Il prit le trot et fit volte-face pour revenir en arrière. L'homme bleu s'arrêta pour observer celui qui avait été son ami disparaître derrière une dune. Et les autres le rejoignirent. On questionna :

- Que se passe-t-il ?

- Je ne sais pas s'il était traître ou non. Il est parti.

Le français avait dit ses mots d'un air absent, comme s'il ne s'était pas rendu compte des paroles qu'il prononçait. Mais ses mots jetèrent un froid au sein de la caravane.

Le premier à oser parler fut Adasir, le plus pragmatique de tous :

- C'était notre dernier pisteur. Comment ferons-nous pour nous diriger ?

L'homme bleu ne répondit d'abord pas, tant il était obnibulé dans ses pensées. Puis il sortit d'un geste distrait sa boussole, la montra et la rangea. La caravane reprit son train.

Ils parvinrent à Abalessa deux jours après.

***

Les militaires de Tamanssaret s'étaient étonnés de voir la caravane s'arrêter à de multiples reprises. Ils avaient compris que quelque chose n'allait pas et avaient élargi encore les distances.

Tout devant, l'éclaireur ne perdait pas une miette des scènes qui se passaient. Lorsqu'il parvint au corps de Tarana, il chercha à comprendre ce qui lui était arrivé, tout en jetant un coup d'œil lointain à la caravane qui s'éloignait. Mais il ne put rester longtemps ainsi à découvert car il apperçut rapidement un mehariste qui avait fait demi-tour et qui venait vers lui. Caché derrière une dune, l'éclaireur de Tamanssaret vit Meltiti s'approcher du corps de Tarana et le porter en croupe de son mehari avant de s'éloigner.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant