Montbert avait fait partir sa petite équipe très tôt. Ils avaient tout laissé au campement pour avancer plus vite et retrouver facilement l'autre caravane. Ils étaient remontés sur le chemin et en le suivant simplement étaient arrivés dans un vaste cirque. Seul l'éclaireur y descendit tandis que les autres restaient sur les hauteurs.
Le capitaine Albret sortit sa longue-vue pour observer le paysage. Il passa lentement entre les sommets crénelés, non sans ressentir une certaine émotion devant cette spectaculaire perspective. En suivant la ligne de crète d'où ils se tenaient et en obliquant partiellement vers le nord, on pouvait appercevoir du mouvement.
- Lieutenant, vous devriez venir regarder cela, appela Albret.
- Ah ! C'est eux, n'est-ce pas ?
- C'est exactement ce que je me disais. Nous les avons retrouvés.
- Eh bien partons sans plus attendre.
- Notre éclaireur ?
- Ne le voyez-vous pas remonter ?
Montbert fit de grands signes au soldat pour lui montrer la direction qu'il prenait. Celui-ci acquiesça, et les français reprirent leur chemin d'un pas plus assuré.
Ils avançaient relativement vite. En contournant le cirque, ils parvinrent au pied du pan de montagne qu'avaient pris les touareg. Et Albret pointa de nouveau sa lunette...
- Lieutenant ? Il semble qu'il se passe quelque chose. Nous sommes assez près maintenant pour distinguer chaque homme et...
- Et ?
- Quelqu'un vient de tomber. Un targui descend le chercher.
Ce fut à ce moment-là que l'éclaireur revient. Les deux gradés l'appelèrent et il leur dit :
- Il y a des restes de campement. C'est ici qu'ils ont passé la nuit. Mais je ne sais pas où sont leurs affaires. Un des leurs doit les garder, caché dans une grotte.
Mais Montbert ne l'écoutait pas. Son regard avait été happé par la scène qui se déroulait au-dessus, et il avançait comme un automate, lunette en main. Albret lui attrapa le bras pour le retenir. Mais le lieutenant se dégagea brusquement et continua sa progression, presque en titubant
- Que voyez-vous, lieutenant ?
- Je vois... Un homme en bleu qui s'est reculé contre la falaise, et qui ne bouge plus. Je vois une silhouette qui remonte avec agilité le long de la falaise. Je vois que l'homme bleu paraît reculer plus que venir en aide au targui. Et je vois...
- Que voyez-vous ?
- Je vois qu'il n'y a que des hommes sur ce chemin.
- Tarana !
Le capitaine s'était écrié d'une voix blanche, l'effroi ! Il reprit d'un ton précipité :
- Mais il faut y aller ! Pressons-nous de les rattraper. Il y a peut-être encore moyen de venir en aide à Tarana et...
- Non.
Montbert s'était arrêté brusquement et formait un barrage de son corps.
- Non, répéta-t-il.
- Vous voulez que nous nous dissimulions et que nous attendions que les touareg soient redescendus de la grotte... On ne doit pas nous voir, n'est-ce pas ?
***
- Que se passe-t-il Meltiti ?
- Tarana est blessée mais vivante. Je crois que j'aurais besoin d'aide pour la remonter jusqu'ici.
L'homme bleu plissa des yeux, songeur, avant de s'avancer :
- Redescend, je t'accompagne.
Joignant les gestes à la parole, il se munit d'une corde, l'assura sur un arbustre vert et glissa le long de la falaise. Son effroi de tout-à-l'heure semblait avoir entièrement passé, remplacé par une ferme détermination.
Les deux hommes disparurent assez vite du regard des touareg et parvinrent à une petite plateforme, qui avait retenu la chute de la targuia. Ensemble, ils lui firent un garrot avec l'un des chèches de Meltiti, fabriquèrent un hamac de fortune et grimpèrent de concert jusqu'en haut.
Tarana avait ouvert de grands yeux mais ne disait rien. Elle le savait : cette blessure allait sérieusement embêter la petite équipe. Mais ce fut Meltiti qui résolut le problème :
- Je resterai avec elle. Ici nous sommes à l'ombre et nous pouvons nous reposer.
L'homme bleu reprit sa marche.
Plus d'une heure passa. L'ascension devenait difficile. Et à un endroit où la rampe s'était brisée sous l'effet d'un éboulis, les quelques hommes durent escalader. La fin de leur montée se termina en équilibre sur quelques pierres instables, à une altitude vertigineuse, la main aggrippée à la falaise, et le pied agile cherchant ses prises solides.
À quelques mètres au-dessus de leur tête, une large grotte se tenait. Les hommes la voyaient sans parvenir à y accéder, car la rampe avait été complètement détruite par un éboulis et que la pente naturelle qui devait conduire habituellement au lieu s'était aussi écroulée.
- Que s'est-il passé ici...? Murmura l'homme bleu à part lui.
- Ces risques sont peut-être naturels...
- Non, regarde en haut. La cassure est trop nette. Je pense que le grand-père de Tarana tenait à protéger ses secrets. Mais il nous complique sérieusement la tâche.
- Qu'allez-vous faire ?
Les yeux de l'homme bleu brillèrent et il murmura d'une voix étonnament douce :
- J'ai quelques notions en escalade. J'irai seul et vous resterez en bas pour prévenir toutes chutes.
Le ton n'admettait aucune réplique. L'homme bleu sentit son cœur battre plus fort tandis qu'il jetait un regard captivé à la grotte. Il ajusta son sac à dos et s'élança.
Tout d'abord, ce ne fut pas compliqué. Le premier élan, les forces encore neuves, la hargne à peine émoussée de conquérir cette falaise... Mais ce courage trop prompt le conduisit dans un couloir où il se retrouva bloqué, sans prise.
Inquiet, il redescendit un peu et contourna la bosse qui lui faisait obstacle. Le passage était difficile car il ne pouvait compter que sur ses mains et ses pieds pendaient dans le vide. Il remonta finalement sa jambe au niveau de sa tête pour trouver une interstice où glisser son pied. Et à partir de ce moment-là, toute difficulté parut s'être évanouie.
L'homme bleu se faufila le long de la roche et brûlait dans son cœur la curiosité démoniaque d'arracher au Sahara son secret. Ses mains frappaient la roche, comme pour accélerer le mouvement. Ses pieds battaient le vide avec fureur.
Et il atteignit la grotte.
L'emplacement de l'oasis de Zerzura était quelque part dans cette cavité.
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L'Homme bleu ou Histoire d'une légende
Historical FictionUne légende lointaine, une envoûtante sorcière, un mystérieux fugitif et le pur désert du Sahara, 1902. La liberté, la solitude et le calme sont là. Mais le nom de l'homme bleu ne brille pas encore dans le ciel étoilé. Alors sa quête de légende comm...