Chapitre 7 : Le soleil bleu (1)

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Le petit groupe filait plein Ouest, léger et heureux. Un léger vent frais soufflait et les poussait vers l'avant. Ils avançaient vite. Ils étaient fiers. Ils riaient.

Alors que le soleil s'élevait plein d'ardeur vers le ciel, ils parvinrent à la tribu, arborant drapeau blanc pour éviter que le quiproquo de la dernière fois ne se répétât.

L'Amghar vint à eux immédiatement, la mine inquiète mais accueillante. Il les salua et les invita à venir s'asseoir près de sa tente.

- Que nous vaut l'honneur de votre visite, commandant ? Et vous, lieutenant ? Il me semble vous avoir déjà vu, est-ce que je me trompe ?

- Je ne crois pas non. Je n'étais pas là. Je veux dire : la dernière fois.

Cette remarque jeta un froid parmi les militaires et touareg. Vermet foudroya du regard son subalterne.

- Bien... Eh bien... Que... Que vouliez-vous nous dire, reprit le chef de tribu embarrassé ?

- Éviter une guerre autant que possible, annonça Montbert, l'air ailleurs. Vous ne voudriez pas risquer la ruine de votre tribu alors que vous avez la possibilité d'y échapper ?

- Certes. Mais tout dépend de ces propositions.

- Un compromis équitable. La France souhaite étendre son territoire en intégrant votre tribu.

- Nous nous y refusons. Que proposez-vous, vous ?

- Une contrepartie : une protection militaire générale sur tout le pays et l'apport de notre industrie dans vos villes. La modernisation...

- Protection militaire ?

- Canons aux ports et postes de frontière aux pays limitrophes, essentiellement.

- Et c'est tout ?

- Dans la cas contraire, la guerre se poursuivra.

- Vous ne pouvez pas nous obliger à accepter ce que vous proposer.

- Il vous faut comprendre que vous êtes en pays conquis, ici. Ce territoire ne vous appartient plus tout à fait. Et puis, nous vous apportons un peu de modernité...

- Nous demandons égalité ou indépendance et nous refusons votre protection. Pourquoi nous la proposez ? Vous nous la soumettez de force depuis le siècle dernier. Juste l'égalité. N'est-ce pas votre devise : liberté, égalité...

- Fraternité, compléta Montbert par automatisme.

- Votre industrie moderne au détriment de notre liberté... Croyez-vous que nous allons accepter ? Notre réponse est non ! Combien de fois faudra-t-il donc que je vous le répète ? Non !

- Je me permets d'insister. Nous éviterons réellement un massacre.

- Un massacre ? Mais qui dit que nous ne savons pas nous défendre.

- Viendra l'instant où vous serez pris entre deux feux, incapables de fuir.

- Nous sommes des hommes du désert, commandant. Le désert nous appartient, et pas à vous.

- Amghar...? Et que se passera-t-il le jour où nous contrôlerons le désert ?

- Ce jour n'arrivera pas...? Répondit le chef de tribu d'une voix blanche.

- Plus tôt même que vous le pensez.

L'Amghar se leva subitement comme pour réfléchir et prit sa tête entre ses mains. Il se mit à faire des allers et retours tout en pestant intérieurement contre la sournoiserie des blancs. Montbert fixait le sable à ses pieds d'un air absent, lui aussi profondément pensif. Et quelques instants passèrent avant que l'Amghar ne se rasseoit en s'exclamant :

- Dites-moi tout !

- Où est Tarana ?

- Mais que possède-t-elle donc de si précieux ?

- Elle sait où a vécu son grand-père.

- Vous parlez par énigmes ! Que vient faire son grand-père dans cette affaire ?

- Grand sorcier du Hoggar, et intrépide voyageur. Il est le dernier sur Terre à savoir où se trouve Zerzura.

À ce mot, l'Amghar sursauta et tourna vers eux un visage blême. Il murmura :

- Zerzura ? Elle nous avait supplié de se remettre à sa quête, mais... Zerzura n'existe pas. Ce n'est qu'une légende.

- L'oasis oublié existe, et nous le prouverons. Mais il nous faut Tarana.

- Qui vous dit, même, que son grand-père vit encore ?

- Il est mort.

- Ah ? Ah ! Et... Comment...

- Il a laissé des documents prouvant l'existence de Zerzura et indiquant comment s'y rendre.

-  C'est intéressant, ce que vous me racontez... Donc, Tarana ?

- Oui. Vous ne savez pas ?

- Et si je savais, pourquoi vous le dirais-je ?

- Parce que le soleil est bleu.

L'Amghar sursauta et tourna un regard surpris vers Montbert. Ce-dernier affichait un air absent où volait un sourire ironique. Vermet émit un petit rire.

- Le soleil bleu ? Vous moquez-vous ?

- Pas le moins du monde, sourit le lieutenant en laissant briller ses yeux. Mais que ferez-vous de Zerzura ? Cette conquête ne vous servirait pas. Pourquoi vous en emparer ?

- Parce que le soleil est bleu.

À ces mots, Vermet explosa franchement de rire. Cette discussion de sourd l'amusait au plus haut point ! D'abord surpris par son rire, Montbert et l'Amghar le suivirent aussi et cet intermède détendit considérablement l'atmosphère. Mais le commandant fronça soudainement ses sourcils en rétorquant sèchement :

- Donc, vous n'acceptez pas notre proposition.

- Non.

- Où est votre homme bleu ?

- Sur le soleil.

Les répliques s'étaient enchainés très vite et sur un ton très grave. Le ton s'échauffait imperceptiblement.

- Vous allez vous rebeller.

- Peut-être. Vous allez nous massacrer.

- Sûrement. Et que ferez-vous ?

- Nous irons bronzer sur la plage.

À ces mots, et devant cette impertinence qu'il supportait de moins en moins, Vermet se leva en s'écriant :

- Idiot ! Je tente d'empêcher le sang !

- Et moi la honte de toute ma tribu, répliqua, rouge, l'Amghar en se dressant à son tour.

- Et, euh... S'avança timidement Montbert en se levant lentement.

- Vous ne perdez rien pour attendre, siffla Vermet au chef de tribu.

- Oh ! Vous savez... Nous n'attendons que vous.

- Soit !

Drappé dans sa dignité, le commandant tourna des talons et rejoignit la petite escorte. Montbert eut une petite hésitation avant de le suivre aussi. Il sentait que les foudres allaient très vite s'abattre sur la pauvre tribu Imrad.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant