Chapitre 11 - Pillage (1)

22 3 9
                                    

Allongé de tout son long sur le sable, lunette pointée vers le coin de la route disparaissant à l'horizon, ébloui par la lumière accrue du soleil saharien et tendu par la peur de manquer cette première opération, Grandfort attendait la prochaine caravane.

L'équipe du premier Amghar l'avait averti de l'arrivée imminente de ce convoi et le jeune homme s'était décidé à commencer ainsi leur guérilla. Ils étaient une centaine de guerriers, armés de quelques vieux fusils et de pistolets, déterminés à ne pas se laisser envahir par la France.

Un faible point apparut dans le lointain. Grandfort sourit. La caravane avançait lentement mais sûrement. La tête du convoi parvint à leur niveau. L'angoisse grimpa en flèche. Quelques touareg se redressèrent à demi, nerveux. Mais Grandfort leva sa main pour les retenir encore. Encore. Encore. La caravane s'étirait longuement mais le jeune homme avait toutes les positions imprimées dans son esprit. Et il attendait un point précis. Une position... Encore... Encore un peu...

- Maintenant, s'écria-t-il en même temps que d'un seul bond tous se levaient et sautaient la dune de sable.

Les touareg dévalèrent la pente en poussant de grands cris et bondirent sur le convoi qui s'était arrêté sous l'effet de la surprise. Quelques pistolets jaillirent des poches des soldats encadrant la caravane et mirent en joue les indigènes.

On entendit des coups de feu. On vit des hommes glisser à terre en lâchant un grand cri de douleur. On put noter des expressions de haine qui se tournaient vers les français armés. Et les sabres au clair qui s'empourpraient.

Grandfort s'était mis à trembler sous l'effet d'une frénésie meurtrière. Il entendait résonner "dégradé, dégradé, tu es dégradé, dégradé, pense à la justice, la liberté, la confiance et l'amitié, n'oublie pas que cette France t'a fait du mal et que d'autres méritent de ne pas entrer sous sa tyranie, tyranie." Alors il perdait toute retenue. Ses yeux brillaient en extase, durement. Il tuait. Il en perdait la tête.

Grâce à l'effet de surprise, les touareg purent remporter la victoire et se firent maître de la caravane. Grandfort passa entre les corps fumants, le regard fou et la poigne fortement serrée sur son pistolet. Le chef de la caravane, épuisé et drapeau blanc en main, le prit par les épaules pour l'arrêter :

- Vous êtes différent. Blanc. Déserteur ?

Grandfort cracha à terre pour marquer son mépris et murmura :

- Non, rebelle.

- J'ai peut-être entendu parler de vous... L'homme bleu ?

- Son meilleur ami.

- Je suppose que vous souhaitez empêcher tout ravitaillement à Tamanssaret. Je me suis rendu. J'ordonne de faire demi-tour vers In Salah.

- Oui, répliqua durement Grandfort en plantant un regard soudain vif dans celui de son interlocuteur.

La première opération avait réussi en une vitesse éclair. Cette fois, la nouvelle se répandit dans le Sahara comme une trainée de poudre et contribua à agrandir la légende de l'homme bleu, bien qu'il n'ait pas participé au combat. Grandfort revint victorieux et fier au camp des touareg qui s'organisaient et le soir on fit fête.

Jusqu'à l'arrivée d'El Touati...

- Monsieur Grandfort ! Monsieur Grandfort !

Le jeune homme, paresseusement avachie sur le sable en train de célébrer sa victoire, se redressa d'un bond, les sens soudain en éveil. Il fit un pas vers le targui et leva un sourcil interrogateur. El Touati poursuivit :

- Votre ami était dans un piteux état. Mais il a tenu à rester pour récupérer des armes. C'est important, qu'il disait. Je l'ai vu partir, habillé comme un pauvre, vers la caserne. Et il a réussi pour les armes : les voici.

Le targui tendit son bras vers deux mehara chargés comme des bœufs et sourit. Il savait que ce cadeau avait une valeur inestimable aux yeux des touareg. Quelques cris de joie fusèrent et l'on vint encercler les deux bêtes pour récupérer les armes. Ces fusils, en plus de la victoire, leur donnaient un élan d'espoir inouï. Ils se promettaient d'accomplir des grandes choses.

Grandfort aussi se réjouissait. Les yeux, tournés vers la scène du spectacle, qui brillaient d'allégresse. Mais en regardant vers El Touati un peu à l'écart et la mine abattue, le jeune homme sentit son cœur se serrer sous l'effet d'un mauvais préssentiment. Il s'approcha de lui et lui murmura :

- Il y a autre chose, n'est-ce pas ?

- Oui, lâcha-t-il comme à regret.

- Alors viens.

Il lui attrapa le bras et l'emmena à l'écart, derrière les tentes. Tarana les avait vu s'éclipser et avait pris le parti de les suivre. Grandfort toléra sa présence et lui adressa un sourire inquiet. Mais El Touati gardait le regard vide et fixé sur un point imaginaire au sol. Il ouvrit la bouche pour prendre une grande inspiration avant de la refermer en tremblant. Ses yeux s'humectèrent de larmes et la jeune targuia dut l'aider à s'asseoir sur le sable tant il tremblait. La bonne humeur qui les habitait quelques instants auparavant s'était envolée. Seule restait, planant fielleusement dans le calme angoissant de ce coin reculée, une peur croissante.

- Dis, murmura Tarana d'une voix blanche en serrant craintivement les plis de son sarouel.

De nouveau, le targui ouvrit la bouche et la referma aussitôt en secouant négativement sa tête.

- Non, dit-il seulement.

- Pourquoi non ? Insista Grandfort avec une voix où perçait la rancune.

- C'est l'homme bleu.

- Je m'en doutais. Que lui ait-il arrivé ? Qu'a-t-il fait, ce fou ? Tu as dit qu'il était mal en point. Mais jusqu'où ? Qu'est-ce que cela veut dire ?

Grandfort pressait El Touati de questions pour masquer son anxiété et combler ce silence bien trop oppressant. Mais loin de rassurer le messager, ces paroles semblaient le brusquer et le renfermait plus encore dans une timidité terrifiée. Tarana le comprit et finit par poser une main apaisante sur le bras du militaire. Ce-dernier lui jeta un regard effrayé, les lèvres tremblantes et murmura :

- Enfin que s'est-il passé ?

- C'est l'homme bleu, répéta d'une voix défaillante El Touati. Il... Il... Et comment vous le dire ? Monsieur Grandfort, il...

-----------------------------------------------------

Ahah !!!! Que lui est-il arrivé ?
Mort ? Fou ? Emprisonné ? Traître ?

Je vous aide : c'est au moins un de ces quatre-là !!

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant