Albret se rendit vers les prisons en pestant contre son commandant. Il remarquait peu à peu s'éteindre la confiance autrefois si vive entre les deux gradés. Et son orgueil en prenait un coup.
Ainsi ce fut d'humeur massacrante qu'il commanda au gardien d'ouvrir la cellule du lieutenant Montbert. Il entra d'un pas vif et bougonna :
- Vous êtes libre, lieutenant. Sortez vite, le commandant veut vous voir.
- Libre ? Mais cela ne fait que deux jours !
- Vous voulez rester plus longtemps, peut-être ?
- Si le commandant insiste pour me voir... Je ne vais pas lui désobéir.
- Évidemment. Hypocrite, ajouta plus bas Albret en refermant la cellule derrière son subalterne.
Montbert exécuta un pas de danse tout joyeux et courut hors des prisons. Le capitaine se tourna vers le gardien et lui ordonna de sortir le premier prisonnier des quatre capturés la veille. Le pauvre targui fut attaché sur une chaise et Albret s'approcha, l'air menaçant :
- Dis-moi tout ce que tu sais !
Le pauvre bonhomme prit un air effrayé et s'écria :
- Je ne sais pas, pitié, je ne sais rien.
- Dis-moi tout avant que je n'emploie la manière forte.
- Non, non, je sais pas.
Exaspéré, Albret lui jeta un regard insistant avant de tourner des talons.
- Je vais me prendre une citronade et quand je reviendrai tu me diras tout.
Le targui resta accroché à sa chaise deux heures durant. Il fixait la porte avec désespoir attendant que le capitaine revienne mettre fin à cette attente intolérable. Mais quand Albret revint, le targui poussa un cri de stupeur.
- Tu me diras, maintenant ? Maugréa le militaire.
- Je... Je ne sais rien ! Elle... Elle est venue, Tarana. Au campement.
- Je sais.
- Elle a discuté longuement avec les chefs.
- Ah ?
- Mais moi... Je ne sais pas ce qu'ils se sont dit... Je ne sais rien ! Libérez-moi pitié ! J'ai ma famille et...
- Oh tu me fatigues ! Qu'on le libère.
On fit appeler le suivant. Las, celui-ci, malgré tous les essais d'intimidation essayés, ne pouvait strictement rien révéler de plus que le premier. On le ramena dans sa prison.
Le troisième était néanmoins différent. Il avait des yeux pétillants de malice et une mine sournoise. Albret sentit qu'ils ne pourraient que s'entendre...
- Mon petit, sussura-t-il d'une petite voix douce. Toi, tu me diras n'est-ce pas, tout ce que tu sais de Tarana ?
- Cela dépend de vous. Je sais bon nombre de choses à son sujet. Mais je ne vous les donnerais pas sans que....
- Oh mais tu me résistes ! Tu veux négocier ! Fort bien. Dis-moi tout, je t'offrirais ce que tu me demandes.
- Ma liberté.
- Cela va de soi.
Le targui hésita et ajouta :
- Dix fusils.
- Dix ? Cela fait beaucoup ! Je ne sais pas si je pourrais...
- Alors pas de renseignements.
- Soit ! S'empressa Albret, dix ! Si tu me révèles quelques données interréssante, tu me suivras jusqu'à l'armerie et je te les donnerais. Mais il nous faudra être discrets car je ne crois pas avoir le droit de...
Le targui ne l'écoutait plus et murmurait entre ces dents, rêvant du pouvoir qu'il apporterait alors à sa tribu...
- Dix. Dix fusils.
- Dis-moi tout, le pressa encore le capitaine.
- Elle est venue, belle sorcière. Elle est venue et elle a dormi tout le jour. Mais le soir, émergeant de sa léthargie, nous l'avons vue sortir pour aller rencontrer nos Amghar. J'étais là, j'ai tout vu, tout entendu.
- Que disait-elle ? Mais va au fait, pauvre fou !
- Elle a parlé de s'allier aux autres tribus. Elle a dit qu'elle vous connaissait et qu'elle savait comment vous battre. Elle a parlé de l'homme bleu. Puis, elle ajouté, mais nous ne savons pas s'il faut la croire, qu'elle savait où était Zerzura.
- Zerzura ! Ainsi, c'est donc vrai ! Ce n'était pas une légende : elle connait réellement Zerzura ! Oh ! Dieu ! Nous avons Zerzura ! Et moi, mon honneur est sauvé.
- Que dites-vous ?
- Ce n'est rien... Oublie et dis-moi tout. Pourquoi vous a-t-elle parlé de cet oasis oublié ?
- Elle veut que nous le retrouvions, hésita le targui. Pour que nous ayons un point d'appui dans ce Tanezrouft enflammé. Tactique. Je suppose que vous le cherchez aussi... Mais vous n'avez pas Tarana !
- Tout est question de temps, sourit Albret d'un ton distrait en s'asseyant négligemment sur les moyens et... Dis-moi où est Tarana.
- Elle est partie. Nul ne sait où.
- Tu mens. Toi tu l'as vu partir. Et tu sais où elle est. Veux-tu tes fusils ? Veux-tu ta liberté ?
- Vous voulez que je sois un traitre ?
- C'est cela. Dis.
- Eh bien...
Une lueur étrange brilla dans ses yeux tandis qu'il acquiesça :
- Soit ! Je l'ai vu s'en aller vers le Tanezrouft. Sans eau, ni vivre, inconsciente ! Elle ne tiendra pas une journée. Je peux vous dire exactement où nous la retrouverons. Elle ou... L'homme bleu.
- Ah ! Celui-là.
- S'il n'est pas mort (il aurait toutes les raisons de l'être après tant de temps passé dans cette fournaise), il reviendra sous peu et la retrouvera. Nous aurons les deux, mon capitaine !
- Toi, je t'aime bien. Oui, je t'aime bien. Écoute, tu es libre. Et si tu as quelques soucis ou d'intéressantes informations, tu sais où t'adresser.
Le targui fit mine d'acquiescer et parut soudainement tout exité. Amusé, Albret le conduisit secrètement à l'armurerie où il lui donna les fusils demandés. Et le targui fila sans plus demander son reste. Les précieuses armes soigneusement accrochées au dos de son mehari.
Alors, le capitaine revint vers le mess, la mine soucieuse. Mais cette inquiétude s'accrut subitement lorsque Montbert s'approcha, mine hautaine, pour annoncer :
- Le commandant vous décharge de la mission car il semble que vous avez commis trop de fautes et je prends la direction. Même si je reste un gradé de rang inférieur, je ne suis plus sous vos ordres. Je commande la section de la mission. Vous aurez une autre fonction ici. Vous serez prié de m'instruire de l'avancée de l'enquête.
Pour Albret, ce fut un véritable coup de poignard.
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L'Homme bleu ou Histoire d'une légende
Historical FictionUne légende lointaine, une envoûtante sorcière, un mystérieux fugitif et le pur désert du Sahara, 1902. La liberté, la solitude et le calme sont là. Mais le nom de l'homme bleu ne brille pas encore dans le ciel étoilé. Alors sa quête de légende comm...