Chapitre 13 - Sauver Tarana (2)

17 2 15
                                    

"Mais qu'est-ce que je fais ? Se disait l'homme bleu. Ai-je pris la bonne décision ? Vais-je bien ? Il me semble pourtant que je suis sain. Et pourtant, je crois que je suis sur le point de bafouer toutes les règles qui dirigeaient ma vie quelques temps auparavant. Fou que je suis !"

- Mass, mass !

Le cri tira Beauvey de sa rêverie.

- Mass, choûf ! Nous arrivons à Tamanssaret.

Il sourit et ordonna :

- Il ne sert à rien de nous faire remarquer inutilement. Vous, vous entrerez dans la ville et je passerai par une porte dérobée. Si l'on vous interroge vous répondrez que vous venez des montagnes du Hoggar pour chercher du travail en ville. Ils apprécient toujours ceux qui se sédentarisent.

- Et où irons-nous ?

- Au Nord-Ouest de la ville. Près de la porte des Lions, dos aux remparts, il y a une maison. C'était celle de Tarana. Elle doit être vide, vous vous y installerez. Allez.

L'ordre était donné. Beauvey se sépara du groupe et remonta directement vers le Nord. Le reste du groupe dut néanmoins l'attendre un peu plus longtemps que ce qu'il pensait mais il finit par arriver, le regard voilé. Rassurés, tous se groupèrent autour de lui pour entendre la suite de l'opération.

- C'est moi qui m'infiltrerai.

- Mass ! Mais vous êtes fragile encore...

- Je m'infiltrerai mais j'aurais besoin que vous fassiez diversion à l'entrée du camp, ignora-t-il. Vous le ferez ?

Tous acquiescèrent gravement.
Au soir venu, ils se dirigèrent vers l'entrée et commencèrent à faire une esclandre en grondant contre les taxes qu'on leur imposait. De nouveau, quelques soldats curieux vinrent voir la scène et d'autres accoururent pour les empêcher d'entrer dans la forteresse.

Pendant ce temps, Beauvey, revêtu de son burnou et de son chèche bleu roy, escalada par les toits le rempart. Il parvint au sommet et étendit tout son corps. La lumière du soleil vint le frapper. Il rayonnait sur toute la ville et toute la ville le voyait. Les soldats, les habitants, les passants... Tous retinrent leur souffle. Il sauta dans la cour, au pied des prisons.

Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour mettre hors d'état de nuire les soldats et sortir la jeune targuia de sa prison. Cette action fut brillante et surprit tout le monde par sa brieveté. L'armée se sentait mal, prête d'agoniser. Tarana était ravie. Et le nom de l'homme bleu s'était inscrit en lettres dorées sur le ciel du Sahara.

Montbert était au milieu de la cour, bras ballants et rouge. Il se disait :

- Beauvey, tu as agis comme un prince charmant sauve sa dulcinée. Oh ! Tu t'es royalement moqué de nous, alors que nous te croyions mort, faible, ou veule. Maintenant plus rien ne retiendra ta renommée : les touareg t'aduleront yeux fermés, et la France t'honnira. Soit ! Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Tu as Tarana, je te la laisse. Quant à moi, je te suivrai, même en Enfer."

Et aussitôt, il donna ordre aux soldats de laisser passer aux portes ce petit groupe mais d'envoyer des éclaireurs les suivre discretement où qu'ils aillent.

Le secret des montagnes allaient être arraché et la course au Tanezrouft serait remportée par le plus rusé. Qui ? Qui donc aurait plus d'un tour dans son sac ? Le plus surprenant et le plus prévoyant ?

Montbert connaissait la réponse aujourd'hui. Si ses intérêts n'avaient pas été contraires, il aurait misé sans hésitation sur l'homme bleu. Mais d'autres facteurs entraient en jeu. Et poussé par la jalousie, la colère et le désespoir, il était prêt à relever le défi pour vaincre ce duel. Il se savait d'intelligence moindre, mais son cœur était animé par un farouche désir de remporter la victoire. Il voulait se prouver qu'il en était capable, avec toute l'énergie du désespoir, bien que les signes montrassent l'inverse.

"Aussitôt que nous les verrons partir, je m'engagerai à la suite. Je n'ai peut-être pas son intelligence... Mais cela se travaille, n'est-ce pas ? Ou suis-je condamné à laisser passer le rêve à Beauvey ? J'ai droit au bonheur !"

Ce fut grâce à ce raisonnement que Tarana put quitter la ville tranquillement, portée dans les bras de son amant sauvage. Et ce fut alors que l'homme bleu se trouva porté par une ovation sans précédent. La confiance s'était installée dans les cœurs. Il pouvait quitter le camp paisiblement, sans s'inquiéter de trahison. Et Tarana l'aimait.

Les touareg, bien arrivés, accueillirent avec curiosité le petit groupe et joie lorsqu'ils virent Tarana portée en croupe sur le mehari de l'homme bleu. Mais leur allégresse redoubla lorsque trois touareg, parmi ceux qui accompagnaient le héros du jour, se mirent à relater à grands gestes et moult expressions l'exploit remarquable de tout-à-l'heure.

Grandfort accourut pour acclamer chaleureusement son ami et lui sourit de toutes ses dents, toute jalousie envolée. Mais dès que l'homme bleu descendit à terre, il lui prit par le bras et l'emmena à l'écart en lui disant :

- Nous nous sommes bien installés. L'endroit est bien situé et magnifique. Mais...

- Ah, il y a un mais.

- Evidemment. Nous manquons de munitions, les services de renseignements ne sont pas au point ce qui fait que le blocus s'effrite, et des grondements montent dans le camp.

- Grandfort, Grandfort, mon ami... Tu as accepté d'être le chef. Moi je suis déjà ailleurs.

- Ah bon.

- Oui.

- Alors que dois-je faire ?

- J'ai pitié de toi, mon ami. Lorsque je serais parti, tu appeleras le groupe chargé du renseignement et tu lui ordonneras de poster en permanence des éclaireurs sur les pistes entourant Tamanssaret. Nous ne sommes pas à Paris, ici il y en a que trois. Ces victoires remonteront le moral de tes troupes... Soit dis-en-passant, ce sont de petites gens facilement impressionnables donc n'hésite pas à t'afficher toi-même quelquefois. Les munitions viendront par les caravanes interceptées par le blocus.

- Beauvey, tu es bien gentil de me dire tout cela mais quand pars-tu ?

- La dizaine d'hommes que tu as recrutés hier terminent de préparer les sacs de voyage. Regarde-les. Les mehara sont déjà chargés.

- Quand pars-tu ?

- Au-revoir mon ami. C'est maintenant que je pars.

- Quand reviendras-tu ?

- Quand je reviendrais ? Nous passons par le Hoggar, nous irons au Tanezrouft...

- Quand reviendras-tu ?

- Je crois que nous ne nous reverrons plus, mon ami.

-----------------------------------------------------

Demain c'est le départ pour le Hoggar. Tout semble prêt mais... Vous savez bien que je ne laisserai pas le voyage se passer sans incident.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant