Chapitre 18 - Victoire et négociations (2)

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- Nous devons nous retrouver à mi-chemin entre les remparts et notre camp. Trois soldats pour toute escorte, qui resteront à un trentaine de pas en arrière. Cela me semble correct, qu'en pensez-vous ? Ah et évidemment vous m'accompagnez Amenokal.

- Ces règles me semblent parfaitement justes. Mais il serait bon de nous mettre d'accord auparavant sur ce que nous allons demander.

- Juste.

Les deux chefs discutèrent encore longuement. Entre le jeune et le vieil homme une amitié naissait, qui les étonnait même. Ils en profitaient, béats, craignant le moment où la séparation serait nécessaire.

Lorsque le soleil commença à redescendre, les chefs se retrouvèrent au point convenu. Le commandant Vermet avait une mine fatiguée qui détaillait avec un intérêt tout neuf cet ancien lieutenant qui les avait mis en échec. Granfort était méfiant... Il savait qu'il n'était pas à son aise dans les longues discussions, et que ces deux commandants vaincus, loin de se soumettre à son autorité, pouvaient bien lui extorquer tout ce qu'il avait déjà par de sournoises paroles.

- Bonjour soldat Grandfort, salua le commandant du fort en insistant par là-même sur ce grade perdu. Je vous présente le commandant Faumont qui travaille à In Salah.

- Commandant, salua à son tour Grandfort, affichant un visage neutre non marqué par le rappel de son grade perdu. Et moi je vous présente l'Amenokal des tribus Kel Ahaggar. Il m'a fait l'honneur d'être mon adjoint et je lui en suis reconnaissant.

Face à un tel symbole pour les tribus touaregues, les deux commandants montrèrent plus de respect. Puis tous s'assirent et Vermet prit la parole :

- Grandfort, vous nous causez beaucoup de soucis mais je tiens tout de même à vous féliciter pour votre fabuleuse victoire. Vous et vous aussi Amenokal. Nous avons perdu et nous nous soumettons. Quelles sont vos exigences ?

- Nous demandons une liberté totale pour les touareg, sans impôts, sans obligation de sédentarisation.

- Vous attaquez fort. Mais vous savez que l'on ne peut pas vous l'accorder. Ce siège n'efface pas les dernières victoires remportées contre les Kel Ahaggar. La France garde une force certaine dans cette affaire.

- Laissez-leur la liberté totale, insista Grandfort.

- Non.

L'Amenokal jeta alors un long regard au commandant Vermet, regard dans un silence complet qui fit tressaillir toute la tablée. Puis il prononça gravement :

- Vous nous laissez le droit d'aller et venir sur le territoire. Nous sommes fiers d'être nomades et cette victoire nous donne au moins ce droit.

Le commandant Faumont hocha la tête et nota la demande sur un document. L'Amenokal poursuivit :

- Nous demandons une baisse de dix pour cent des impôts prélevés sur le bétail. Et pour les touareg possédant moins de dix bêtes, nous demandons la suppression de cet impôt. Cela vous semble-t-il correct, messieurs ?

Vermet sursauta et acquiesça silencieusement. Il ne le disait pas mais il était grandement impressionné par la prestance de l'Amenokal. Et comment refuser à tant de dignité ces exigences parfaitement légales ? Malgré tout, le militaire était profondément ennuyé par cette défaite. Il craignait les retours négatifs de sa hiérarchie et tremblait par avance.

D'une voix voulue ferme mais finalement assez timide, il questionna :

- Est-ce tout ?

- Je pense que c'est tout pour nous autres touareg. Nous avons repris ce qui nous semblait juste. Mais, cela n'est pas une exigence cependant, faites preuve d'indulgence pour mass Grandfort et mass Beauvey.

- Ce qui appartient à l'armée est à l'armée française.

- J'ai gagné cette bataille. À titre individuelle, j'estime mériter quelques droits supplémentaires.

- Que comptez-vous faire maintenant ? Dites toujours et nous déciderons.

- Eh bien disons que si Beauvey gagne Zerzura, nous retrouverons tous deux notre grade et notre place...

- À In Salah ! J'accepte, si vous y tenez, mais comprenez que nous ne pouvons pas vous faire revenir à Tamanssaret. À titre personnel, je pense néanmoins que vous perdrez. Alors je vous demanderais de vous rendre et de vous soumettre au tribunal militaire. Mais vous jouez dangereusement avec le feu car les forces sont de mon côté : le capitaine Albret et le lieutenant Montbert suivent votre caravane, prêts à vous dérober votre oasis.

- Je suis au courant, sourit Grandfort. Et croyez-vous que Beauvey ne les a pas repérés ? Il est mille fois plus malin que tous les génies militaires associés. Mille fois plus malin même que ce que vous pouvez imaginer. Et il vous dupera tous.

Alors le commandant Faumont eut une réaction étrange : il se redressa brusquement de sa chaise, les yeux équarquillés par l'étonnement. Ouvrit la bouche comme pour prononcer quelque parole mais la referma aussitôt comme une carpe. Embarassé, il se rassit doucement, en jetant des regards aux alentours. Il jeta un dernier regard noir au commandant Vermet avant de reprendre son impassibilité.

Surpris par ce comportement inatendu, on le regardait d'un air stupide. Mais comme il ne disait rien, Grandfort prit la parole pour murmurer d'une voix prudente :

- Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose, commandant ?

- Non, rien, rien ! Je croyais que... Mais cela importe peu, passons ! Votre homme bleu paraît être une personne mystérieuse et pour le moins incroyable. Lorsqu'il aura réussi sa conquête et... Mis en échec toutes les armées françaises du Sahara, il me plairait assez de le rencontrer personnellement.

- La légende de l'homme bleu ne connaitra plus de frontière, sourit douloureusement Vermet.

En rentrant au fort, le commandant se tenait droit mais songeur. Une énigme était apparue qu'il était bien résolue à déchiffrer... Qui était l'homme bleu ? Il semblait que le peu que l'on sache de lui ne fût pas suffisant pour cerner le personnage.

Il n'était écrit nulle part qui était ses parents, ni où il était né. Nul ne connaissait rien de son enfance. Et personne ne savait réellement ce qu'il avait fait lors de la mission diplomatique en Egypte : l'événement n'avait jamais été relaté.

Cet homme qui paraissait si commun cachait donc une foule de secrets. Et Grandfort qui proclamait être son ami...

- Est-ce qu'il le connait seulement un peu ? Murmura doucement Vermet en franchissant les portes d'une ville affamée.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant